Petites réflexions sur la dépense publique en France.
Avec la mondialisation, l’ouverture des douanes, les importations
massives issues de pays où la main d’œuvre est nettement moins coûteuse, beaucoup de monde pense que la France est devenue un pays libéral où les règles de l’économie privée domine le marché parce les frontières sont ouvertes. Qu’en est-il
vraiment ?
C’est plutôt le contraire qui arrive. Le meilleur moyen pour savoir si la France évolue dans une économie
libérale ou dans une économie étatiste, c’est de connaître la part de la dépense publique dans la création de richesse (produit intérieur brut). Cette part détermine la contribution de l’État
dans la richesse nationale. Ce qu’il injecte dans le système et qui le fait tourner.
Ce critère (qui peut certes être contesté, lire cette tribune de l’économiste Francisco Vergara à laquelle je ne souscris pas)
donne une situation sans ambiguïté : la France n’a cessé de développer une économie étatisée. La part de la dépense publique dans le PIB pour l’année 2013, la dernière connue, c’est
57,4% ! Nettement plus que la moitié.
De près de 10% à presque 60%
Entre la Révolution et la Première Guerre mondiale, cette part était restée assez stable et faible, entre 10% et 13%. Il n’y avait pas toutes les protections sociales et l’économie était restée
principalement agricole.
En 1872, la dépense publique représentait seulement 11% du PIB, soit seulement un dixième. En 1912, même pas
13%. En un siècle le pays a multiplié par cinq cette part de la dépense publique.
Voici quelques points précis de cette évolution.
Les deux guerres mondiales et la crise de 1929 ont contribué à l’augmentation de la dépense publique en
réinjectant massivement de l’argent public dans l’économie nationale.
La croissance, facteur important
La croissance joue également un rôle important dans l’évolution du pourcentage.
Par exemple, en 1960, il y a une nette réduction de la proportion par rapport à l’après-guerre, mais
seulement en relatif, c’est la forte croissance des Trente glorieuses qui a réduit le rapport. Cela s’illustre aussi avec la faible croissance aujourd’hui qui augmente le rapport par un effet
mécanique (l’augmentation des traitements des fonctionnaires et des retraités est plus forte que l’augmentation de la richesse nationale).
Lorsque la croissance est faible, non seulement la part des dépenses est plus forte mécaniquement, mais
l’effet est renforcé par une augmentation des dépenses dues à l’indemnisation des demandeurs d’emploi et au financement des intérêts de la dette
résultant de la perpétuation du déficit public chaque année.
Par ailleurs, l’arrivée à la retraite de la génération du "baby boom" renforce proportionnellement les
dépenses en pensions de retraite et aussi en soins médicaux.
Depuis la fin des années 1960, les dépenses de fonctionnement et les investissements sont restés relativement
constantes tandis que les prestations sociales ont explosé jusqu’à dépasser largement les dépenses de fonctionnement.
Alors que la dette publique ne cesse de s’accroître, la charge de celle-ci reste cependant stable au fil des
années depuis le milieu des années 1990 voire en baisse depuis le début des années 2000, surtout en raison d’une diminution des taux d’intérêt et d’une conjoncture internationale qui continue à
placer la France parmi les États les plus solvables.
Les relances moins efficaces qu’avant
Comme on le voit aussi, il y a eu une forte hausse en 2009 à cause de la crise de septembre 2008 et de la
mise en place d’un plan de relance. Ensuite, une très lente diminution a été observée jusqu’à l’arrivée au pouvoir de l’actuelle équipe qui a beaucoup de mal, malgré ses affirmations, à réduire
la dépense publique (le calcul des fameux "50 milliards d’euros" provient essentiellement de la non augmentation naturelle des dépenses, méthode un peu tardive qu’avait proposé d’appliquer dès
2012 le candidat François Bayrou pour faire 100 milliards d’euros d’économie).
À noter que l’idée très keynésienne de relance de la consommation (politique de la demande) en cas de crise
économique n’a plus beaucoup d’intérêt dans un système ouvert prêt à importer beaucoup de biens de consommation : le surcroît de pouvoir d’achat bénéficie alors principalement à des
entreprises étrangères, ou, plus exactement, car elles peuvent aussi être françaises, à des entreprises établies à l’étranger bénéficiant de
meilleures conditions de production.
La France parmi les plus dépensiers
Beaucoup de pays européens ont réduit de manière drastique la dépense publique dans les vingt dernières
années, comme les Pays-Bas, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, la Suède et le Royaume-Uni.
Si l’on compare la France avec d’autres pays, depuis une vingtaine d’années, la Suède était à une part de
dépense publique dans le PIB supérieure à celle de la France mais les gouvernements suédois ont constamment réduit celle-ci jusqu’à croiser la part française (de 72,4% en 1993 à 53,8% en 2008).
L’Italie et l’Allemagne sont à un niveau similaire, plus bas que celui de la France, entre 45 et 50%, l’Allemagne s’écartant très récemment de l’Italie pour croiser le Royaume-Uni qui est passé
de 40 à 45% entre 2000 et 2005.
En 2012, les taux sont les suivants.
Italie : 50,7%.
Royaume-Uni : 48,5%.
Espagne :
47,0%.
Allemagne : 45,0%.
États-Unis : 40,1% (en 2014 : 38,0%).
Bien que puissance
capitaliste avec une forte mentalité contre l’étatisme, on constate quand même que les États-Unis ont aujourd’hui une part de dépense publique quatre fois plus élevée que celle de la France
d’il y a un siècle, et identique à celle de la France d’il y a quarante ans.
Dépense, déficit et prélèvements obligatoires
Les médias parlent beaucoup des problèmes du déficit public et de la dette, ce qui est effectivement une
véritable épine au dynamisme économique, mais la question devrait plutôt porter sur le niveau très élevé des dépenses : car on peut toujours augmenter les impôts si l’on veut réduire le
déficit, certes avec ce cercle vicieux que l’impôt tue l’impôt en asséchant tous les acteurs économiques.
D’ailleurs, en 2012, le taux de prélèvements obligatoires était de 45,3% en France et seulement de 37,6% en
Allemagne et de 35,2% au Royaume-Uni, et cela ne suffit pas, avec d’autres recettes de l’État, à combler les dépenses qui sont plus de 10% supérieures (d’où le déficit et la dette). Les
prélèvements obligatoires pourtant ont bondi en France ces deux dernières années en atteignant 46,5% cette année !
Ce taux très élevé en France ne suffit pas à résorber le déficit public qui restera très supérieur aux
objectifs que le gouvernement s’était portant lui-même fixés il y a encore quelques mois (4,4% du PIB en fin 2014 et 4,7% en fin 2016 selon la Commission Européenne dans sa prévision du 4 novembre 2014 au lieu de 3,8% en fin 2016 selon les objectifs du gouvernement français). Par ailleurs, la dette publique
friserait fin 2016 le seuil des 100% du PIB (99,8%).
A contrario, réduire la dépense publique, c’est forcément donner un coup de frein à la croissance, puisque le
PIB a pour origine plus de la moitié de l’argent public réinjecté. D’où le très fragile équilibre entre le niveau de la dépense publique, le niveau des prélèvements obligatoires et le niveau de
la dette (94,1% du PIB en 2013) qui vampirise l’argent des contribuables avec ses taux d’intérêt. La marge du gouvernement reste donc très étroite
quand la croissance est faible (moins de 3%).
L’explosion des dépenses sociales
Regardons la structure de la dépense publique. En 2012, 43% des dépenses étaient allouées à la protection
sociale et 15% à la santé, ainsi que 11% à l’enseignement.
Le budget de l’État lui-même (APUC) a réussi à se stabiliser à partir du milieu des années 2000, mais ce sont
les dépenses de la sécurité sociale (ASSO) et surtout des collectivités territoriales (APUL) qui se sont envolées.
La part des collectivités territoriales dans la dépense publique a représenté 20,5% en 2011. Elle ne cesse de
croître en raison de plusieurs phénomènes : d’une part, le désengagement de l’État avec la baisse des dotations pour le financement local,
d’autre part, les surenchères de projets coûteux et pas forcément utiles chez les élus locaux peu respectueux de l’argent du contribuable. La réforme
territoriale ne mettra certainement pas un frein à ces excès et pourrait même, à terme, créer de futurs potentats dotés de budgets bien plus importants qu’actuellement.
La fonction publique employait au 31 décembre 2011 plus de 5,4 millions de personnes en France, ce qui
représentait un emploi sur cinq au total, avec une forte hausse dans les collectivités territoriales et une légère progression dans la fonction hospitalière.
Le principal enjeu d’une élection présidentielle
Le niveau de la dépense publique est un choix politique. Il devrait être, d’ailleurs, le premier choix
électoral, le premier enjeu dans une élection. Souvent, l’absence de vision rend l’horizon incertain et inquiétant, les récentes hésitations et les
tâtonnements de François Hollande n’encouragent pas beaucoup les entreprises à prendre de nouvelles initiatives économiques alors qu’elles ne
savent pas sur quel pied danser (au moins fiscalement et socialement).
L’élection présidentielle retrouvera sa réelle fonction démocratique quand chaque candidat présentera, sans
démagogie et clairement, sa vision des finances publiques sur la durée du quinquennat durant lequel il aspire à diriger la France.
Quand près de six euros sur dix euros de la richesse nationale proviennent de la puissance publique, il est
difficile de parler d’une économie libérale. Quand un Président de la République comme Nicolas Sarkozy augmente de 4% cette part de la dépense
publique, pour raison de crise, il est difficile de lui coller l’étiquette du libéralisme, du néolibéralisme, encore plus de l’ultralibéralisme.
La fonction redistributrice en panne
Et il est donc d’autant plus surprenant et même révoltant que, malgré l’augmentation de la part étatique dans
le PIB, les inégalités sociales soient renforcées de plus en plus au fil du temps. Il y a dans ce système de redistribution de l’État une grande part de …réelle inefficacité (l’Institut Montaigne
a même tenté d’analyser l’efficacité des politiques publiques dans un document très détaillé daté de février 2014).
Par sa protection sociale, l’État est capable d’accompagner correctement ceux qui sont accidentés de la vie
(les malades, les demandeurs d’emploi, etc.) mais ce traitement social, dont le comble réside dans la "boîte à outils" hollandienne (contrats génération, emplois jeunes, etc.) ne permet pas la
redynamisation de l’économie. Au contraire, par une fiscalité très lourde, il décourage les créations d’activité et renforce dans une sorte de cercle vicieux le chômage.
Dans une tribune au journal "Le Monde", le géographe Jean-Robert Pitte proposait ainsi de libérer les
énergies : « Et si l’on apprenait aux Français depuis leur plus jeune âge à se dépasser, à oser, à risquer, à prendre des initiatives par
eux-mêmes et à exercer leur sens des responsabilités ? Abandonnons nos fausses certitudes fondées sur nos sensibilités politiques soi-disant irréconciliables, n’attendons pas d’être au bord
de la guerre civile pour accepter les réformes de bon sens qui s’imposent. Cela implique de réhabiliter le mérite qui n’est nullement injuste mais permet à la société d’aider les plus nécessiteux
des siens sans démobiliser la majorité qui pour l’heure est anesthésiée, accablée. » (30 août 2013).
De son côté, Nicolas Goetzmann l’expliquait ainsi dans "Atlantico" :
« Offrir la possibilité à des millions de personnes de trouver un emploi et de voir leurs revenus progresser est bien plus porteur que le simple
versement de prestations sociales. Un tel revirement de la dépense publique permettrait, finalement, de revenir à l’essentiel. » (19 mars 2014).
Les réformes de structure sont donc nécessaires, mais encore faut-il avoir une vision claire des missions du
service public. On aurait pu penser que François Hollande, issu de l’ENA, de HEC et de la Cour des Comptes, qui a fait des finances publiques son thème de campagne pour la primaire socialiste,
fût au moins compétent dans ce domaine.
Malheureusement, le gouvernement actuel réforme peu, mal et sans l’appui des citoyens. Alors qu’il faudrait
restructurer profondément la dépense publique, et que cette réforme soit largement approuvée, soit par un large consensus des forces parlementaires, soit par adhésion populaire par
l’intermédiaire d’un référendum.
L’Allemagne, pourtant plombée par la Réunification, a fait ce travail d’introspection nationale il y a dix
ans. La France attend toujours d’avoir des dirigeants courageux.
Aussi sur le
blog.
Sylvain Rakotoarison (20 novembre
2014)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Documents intéressants sur la dépense publique en France (à
télécharger).
Maurice
Allais.
La concurrence chinoise.
La première illustration provient de ce site.
Les graphiques et tableaux proviennent de documents tous téléchargeables ici.
http://www.agoravox.fr/actualites/economie/article/la-france-est-elle-un-pays-liberal-159689