Si une liste des reniements et des incohérences de l’action du gouvernement devait être établie, la question de la laïcité figurerait assurément en pole position. Tenus en laisse par la vulgate de l’économie libérale, rompus aux clins d’œil au patronat, habitués à raboter les valeurs républicaines, détachés des exigences d’une citoyenneté rassembleuse, les politiques en général, et le gouvernement en particulier, se déterminent au gré des lobbies, des influences circonstancielles et des facilités conjoncturelles. La Laïcité, version Hollande-Valls et alliés, devient un adjuvant esthétisant de la communication publique. Elle sert d'enluminure des professions de foi et des discours de comices. Pratique pour battre les estrades et provoquer quelques soutiens dans un contexte de défiance, la Laïcité sert de bouche-trou au vide moral et à l’absence de vision d’une société fragilisée par le choix du tout-économique. Hollande avait la promesse de la défendre. C'était bien martelé lors du discours du Bourget. Promesse, le mot de l'arnaque.
En affirmant le 21 octobre dernier devant l’Observatoire de la Laïcité, que « les parents accompagnant des sorties scolaires ne sont pas soumis à la neutralité religieuse », la ministre de l’Education nationale a pris le risque de troubler dans le même temps les parents d’élèves et les communautés éducatives. C’est en se référant à une étude et non à un avis ou à un arrêt du Conseil d’Etat que la ministre a pris position. Le Conseil d’Etat précise que « s'agissant des parents d'élèves qui participent à des déplacements ou des activités scolaires, ils doivent faire preuve de neutralité dans l'expression de leurs convictions, notamment religieuses ».
Cette déclaration émanant d’un membre du gouvernement surprend. Elle tord le cou au principe structurant de l’enseignement public qui impose la neutralité religieuse à l’institution scolaire. Cette neutralité a pour fonction de tenir l’Ecole éloignée des conflits du monde extérieur afin que soient créées les conditions de la construction de la liberté de conscience des élèves. Les sorties scolaires sont une extension de l’enseignement et, à ce titre, devraient se dérouler sous les mêmes principes de neutralité. Dans le cadre d’une sortie scolaire, les parents accompagnants commettent une prestation, certes à titre de bénévoles, identique à celle d’intervenants extérieurs. Il s’agit là de l’application d’un principe constitutionnel. D’une toute autre nature est la présence de parents dans l’enceinte scolaire à titre personnel ou à titre de représentant des fédérations de parents d’élèves. Ils sont alors libres de manifester leurs croyances, ne prenant aucune part à une action éducative.
Le 30 octobre, les associations regroupées dans Le Collectif laïque ont exprimé leur désaccord avec la position défendue par la ministre et demandent que le gouvernement se donne les moyens de faire appliquer la laïcité.
Régulièrement le compromis qui avait rendu possible la loi du 9 décembre 1905 subit des remises en causes. Elles émanent de tous les cultes sans que le pouvoir ne se décide à faire preuve de fermeté vis-à-vis des fondamentalismes qui instrumentalisent la Laïcité pour la contourner et veulent inscrire leurs spécificités comme des acquis de la loi. Parmi les réactions, celle de l’Union des familles laïques rappelle que « tout accommodement raisonnable est un cadeau offert aux intégristes de toute obédience, qui cherchent patiemment à grignoter la laïcité, notamment en s’attaquant à l’école ».
De son côté, la philosophe Catherine Kintzler, à l’occasion de la remise du prix 2014 de la Laïcité avait souligné que la France vivait la question de la Laïcité avec difficulté. Il est temps, selon elle, de considérer le problème que la France s’est construit de toute pièce : « Ce problème ce sont nos états d’âme, qui nous rendent perméables aux arguments compassionnels, ce sont nos états d’âme qui nous rendent sensibles aux sirènes de l’« adaptation » : en ajoutant quelque adjectif bienpensant au substantif « laïcité » ces sirènes appellent à en abolir la substance – comme si le concept de laïcité était épuisé et avait épuisé sa puissance libératrice. Ce problème c’est que nous n’osons pas toujours penser à fond parce que nous croyons à tort qu’une théorie et des concepts « c’est abstrait » et que sur le terrain « ça ne sert à rien ». Ce qui ne sert à rien et qui est même souvent nuisible, c’est au contraire de dire que l’idée de laïcité est abstraite. L’efficacité concrète de la laïcité s’apprécie aux libertés qu’elle rend possibles ». Voilà une appréciation contemporaine, courageuse et rigoureuse de la Loi de 1905 !