Partira, partira pas...

Publié le 16 mai 2008 par Delphineminoui1974

L’aéroport Roissy Charles de Gaulle ne m’a jamais semblé aussi accueillant. Sa décoration aseptisée, ses nouvelles allées en faux bois, ses queues dans les toilettes des femmes pour se rafraîchir le museau. Mêmes ses chaises en aluminium me paraissent tout d’un coup confortables. Le nez collé au panneau des départs, je savoure ma petite victoire. Je suis à Paris, - enfin ! -, et luxe suprême, j’ai même quatre heures d’avance sur mon vol pour Dakar. Ce n’était pas gagné d’avance, au vu de l’actualité libanaise qui s’est, une fois de plus, invitée au programme des réjouissances…

Tout a commencé, hier matin, à Beyrouth, - ma nouvelle résidence -, par l’annonce d’une grève générale pour protester contre la hausse des prix. Mais dans un pays sans Président depuis le mois de novembre, les manifestations ont rapidement viré en règlement de compte politique. Avec, en filigrane, l’appel à la désobéissance civile lancée par l’opposition, relative aux deux récentes décisions prises par le gouvernement libanais : le lancement d’une enquête sur un réseau parallèle de télécommunication contrôlé par le Parti de Dieu et le limogeage du chef de la sécurité de l’aéroport de Beyrouth, présenté comme un proche du mouvement chiite.

En guise de riposte, l’opposition menée par le Hezbollah se met alors à bloquer certaines rues de la capitale, en entraînant la fermeture de l’aéroport. Ca s’annonce mal pour mon vol Beyrouth- Paris, réservé pour aujourd’hui, jeudi 8 mai, 8 heures du matin. Mais les blocages, c’est un peu la routine à Beyrouth. Alors, on a plutôt tendance à se raccrocher à sa belle étoile plutôt que de dramatiser. Reste donc à attendre en espérant que l’activité aérienne redémarre.

19h, 20h, 21h, 22h… Toujours rien de nouveau. Au contraire. La paralysie semble se propager comme la gangrène. On apprend même par un chauffeur de taxi que les passagers des rares vols qui ont pu atterrir dans l’après-midi sont bloqués à l’aéroport. Il est temps de penser au plan B.

La seule solution viable ? Emprunter la route de Damas (deux heures, en temps normal) et attraper le premier vol en partance vers l’Europe. A force de pianoter sur Internet, je finis par dégoter un vol Damas-Istanbul-Paris sur Turkish Airline… Mais il décolle à 3h du matin… Il faut donc quitter Beyrouth au plus vite pour ne pas le rater.

Le chauffeur de taxi n’est pas très rassuré. A la radio, on parle de monceaux de sables, improvisés sur la route qui mène vers la frontière syrienne. Les rues de Beyrouth sont désertes. Quelques check-points de l’armée ça et là. Les habituels fêtards de l’été se terrent dans leurs maisons. La capitale la plus festive du Moyen-Orient s’est soudainement démaquillée. Dans le quartier mixte de Ras el Nabah, on a même pu entendre des coups de feu il y a quelques heures. C’est mauvais signe.

La voiture fonce dans la nuit noire. Pas un chat sur la route. Dans quelques minutes, nous serons sur le territoire syrien. Dans la brume du soir, je distingue quelques lumières qui grossissent au fur et à mesure qu’on roule. On approche de la frontière. En fait, c’est un barrage de pneus en flammes qui nous accueille. Le visage enroulé dans une écharpe, et des pierres plein les poches, de jeunes adolescents se mettent à taper sur le capot. Ils refusent de nous laisser passer, et nous font signe de faire demi tour.

La négociation est rude. L’un d’eux finit par nous laisser passer. C’était limite. J’apprendrai plus tard qu’il s’agit de  partisans du gouvernement, qui agissent en guise de riposte contre l’opposition. Ca sent le roussi. Derrière nous, des sénateurs français ont préféré rebrousser chemin.

A l’aéroport de Damas, je retrouve un homme d’affaire au visage familier. Quelques kilomètres plus tôt, je l’avais croisé à la frontière syrienne. Le pauvre homme n’a trouvé comme unique vol qu’un Aller simple sur Czech Airlines, via Prague, pour être à l’heure à son rendez-vous parisien…

Au Relais H de Roissy Charles de Gaulle, six heures plus tard, les titres de la presse française sont alarmants. On parle de désobéissance civile généralisée, de combats de rue, de règlements de compte. Si j’avais su, je serai restée à Beyrouth.

Et puis en Une, la même question : Le Liban se dirige-t-il vers une nouvelle guerre civile ?

La mienne est plus basique : Comment, diable, vais-je donc rentrer à la maison ?