d'après LE ROSIER DE MADAME HUSSON de Maupassant
-« Tiens, me dit mon ami Fernay,
Voilà le rosier de Mme Husson. »
Surpris, je lui demandais :
-« Le rosier de Mme Husson,
Que veux-tu dire ? »
Fernay se mit à rire :
-« Oh ! À Gisors, ici,
C’est ainsi
Que les ivrognes sont nommés.
Cela vient d’un curieux évènement
Qui s’est passé
Dans le temps. »
-« Ton histoire, est-elle drôle ? »
-« Très drôle. »
-« Alors, raconte-la. » -« Volontiers.
Près de Gisors, voilà trente ans environ,
Une dame vertueuse qui s’appelait
Madame Husson.
S’occupait des bonnes œuvres.
Elle avait horreur
Du vice et de la luxure.
Âgée, petite, polie, l’air cérémonieux.
En fort bons termes avec le bon Dieu,
Représenté ici par l’abbé Desmazures.
Lui vint l’idée
D’élire une rosière. Elle s’en ouvrit au curé
Qui dressa une liste de candidates.
Mme Husson, avec sa voix aigue
Dit à sa vieille bonne, Marthe :
-« Pour l’attribution du prix de vertu,
Voici les noms des filles proposées
Par Monsieur le curé.
Tâche de savoir rapidement
Ce qu’on pense d’elles dans le pays. »
Quotidiennement,
Marthe recueillit
Tous les soupçons, tous les potins.
Et pour ne rien oublier,
Elle notait les résultats
Sur le livre des achats
Qu’elle remettait
À Mme Husson, chaque matin :
Pain quatre sous
Lait deux sous
Beurre huit sous
Malvina Levesque s’a dérangé
L’an dernier avec Arthur Bauget
Un gigot vingt-cinq sous
Sel un sou
Poivre un sou
Rosalie Vatinel
Qu’a été rencontré
Dans le bois des Pas-Montrés
Avec Césaire Penel
Par Mme Onésime Fortune,
Repasseuse, le 20 juillet à la brune.
Radis quatre sous
Oseille cinq sous
Joséphine Duroy
Qu’on croit
Qu’al a fauté nonobstant
Avec le fils Monet
Qu’est en service à Rouen
Même qu’il lui a donné un joli bonnet.
Marthe avait interrogé ses fournisseurs,
Les voisins et l’instituteur…
Il ne se trouva, dans le pays,
Pas une seule jeune personne à l’abri
D’une médisance. Mme Husson
Demeurait effarée, désespérée.
On élargit alors le cercle des perquisitions
Jusqu’aux villages des environs. Sans succès.
Marthe conseilla à sa maîtresse, un matin :
-« Si vous voulez
Couronner quelqu’un,
Je ne vois qu’Isidore
Dans toute la contrée.
Mme Husson connaissait bien Isidore,
Le fils de l’épicière,
Mme Feuillère.
Sa chasteté faisait la joie des habitants.
Il servait de thème plaisant
Aux conversations de la ville
Et d’amusement pour les filles
Qui s’égayaient à le taquiner.
Âgé de vingt ans à peine passés,
Il avait une peur maladive des jupons.
Les mots hardis,
Les gauloiseries,
Et les graveleuses allusions
Le faisaient si vite rougir qu’un agriculteur
L’a surnommé ’’thermomètre de la pudeur’’
Les filles s’amusaient à passer
Et repasser
Devant lui
En chuchotant des polissonneries.
Isidore était un cas notoire de vertu.
Dans les cafés, personne ne l’avait jamais vu.
Bref, c’était une perfection.
Cependant Mme Husson hésitait.
L’idée de substituer un rosier
À une rosière la troublait.
Elle se résolut à consulter le curé.
-« La vertu est éternelle.
Que vous importe qu’elle soit mâle ou femelle !
Elle n’a pas de sexe, la vertu.
Et c’est bien la vertu
Que vous voulez récompenser. »
Le maire aussi approuva tout à fait :
-« C’est là un bel exemple pour Gisors
Et pour tout le pays.
Nous ferons une belle cérémonie.
Et dans un an, si nous trouvons une femme
Aussi digne qu’Isidore,
Nous couronnerons une femme. »
Prévenu, Isidore
Rougit fort
Mais semblait content.
Le couronnement
Fut fixé au samedi
15 août, fête de la Vierge Marie
Et de l’empereur Napoléon.
Par une naturelle évolution
Dans l’esprit du public, la vertu du Rosier
Devint enviée
Depuis qu’on savait
Qu’elle devait
Rapporter à Isidore
500 francs or
…Et une montagne de considérations.
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Toutes les rues étaient pavoisées.
On avait jeté
Des fleurs tout le long
Du parcours du cortège.
La clique en uniforme beige
A commencé par jouer un petit air
Sous les fenêtres
Du Rosier qui apparut
Tout vêtu
De coutil blanc.
Puis Mme Husson prit son bras dignement
Le maire se plaça à la gauche du Rosier.
Les tambours battaient.
Le cortège se mit en marche.
On passa sous des arches
Fleuries et joliment décorées.
Quand on arriva sur le site du banquet.
Le maire fit un discours si émouvant.
Que le Rosier sanglota d’attendrissement.
L’édile remit à Isidore une bourse de soie
Où sonnait l’or,
Les cinq cent francs en or !
Et prononça d’une solennelle voix :
-« Hommage, gloire et richesse à la vertu. »
Mme Husson, fortement émue,
S’essuyait les yeux. Le banquet fut servi.
Isidore buvait et mangeait,
Comme s’il n’avait jamais ni bu ni mangé.
Les toasts furent nombreux et très applaudis.
La fête se termina tard dans la soirée.
Le Rosier fut laissé chez sa mère,
L’épicière,
Mais elle n’était pas rentrée.
Alors, Isidore resta
Dans la boutique tout seul.
Agité par le vin et l’orgueil
Et affolé de joie, il dansa
Et tira de sa poche les 500 francs.
Quelle fortune, 500 francs !
Qui pourrait dire son combat
Entre le mal et le bien
Et contre les tentations que lui jeta
Satan, le Malin ?
Isidore prit son chapeau, sortit
Et disparut dans la nuit.
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On le chercha.
On ne le découvrit pas.
On redouta un accident
Ou un enlèvement.
On prévint la gendarmerie.
Elle ne le trouva pas.
Or, le surlendemain, quand passa
La diligence revenant de Paris,
On apprit qu’Isidore y était monté,
Qu’il avait payé
Et qu’il était descendu à Pigalle.
À Gisors, l’émotion devint considérable.
Une semaine après,
Au coin de sa rue, le médecin découvrait
Un individu qui dormait.
C’était le Rosier.
Il voulut le réveiller
Mais ne put y parvenir.
Le médecin alla quérir
De l’aide afin de le porter
Jusqu’à la pharmacie.
Le jeune homme était abruti
Par huit jours de soûlerie.
Son beau costume de coutil
Etait devenu une loque grise, graisseuse,
Déchiquetée, ignoble, fangeuse
Et sa personne sentait fort mauvais.
Il fut lavé et sermonné.
Isidore resta enfermé chez lui
Pendant quatre jours. Quand il sortit,
Honteux et repentant.
Il allait la tête basse, les yeux fuyants.
On le perdit de vue à la sortie du pays.
Deux heures plus tard, il était ivre,
Complétement ivre.
Chassé par sa mère, il fut employé
Comme charretier
Dans une entreprise de charbon.
Depuis cette aventure bizarre,
On surnomme ici tout pochard :
’’ Le Rosier de Mme Husson.’’