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lettre d'un fou à son médecin

Publié le 19 novembre 2014 par Dubruel

d'après LETTRE D’UN FOU de Maupassant

Mon cher Docteur,

J’ai peur.

Je me crois fou.

Aussi, je m’en remets à vous.

Installez-moi

Dans une maison de santé

Et veillez à ne plus me laisser

En proie

Aux hallucinations qui me harcèlent ainsi.

Je vais vous dire mon état d’esprit

Et la progression de mon mal singulier.

Croyant voir,

Croyant savoir,

Connaître ce qui m’entoure,

Je vivais, satisfait,

Quand, un jour,

Je m’aperçus que je me trompais.

Pendant des mois, j’ai réfléchi

Et peu à peu, une étrange clarté

Est entrée en mon esprit et y a fait la nuit.

Nous ne sommes en contact avec l’extérieur

Qu’au moyen d’un intermédiaire :

Nos nerfs.

L’extérieur

Nous échappe par ses proportions,

Sa durée, ses propriétés innombrables,

Ses origines et son avenir impénétrables,

Ses infinies manifestations.

Nos sens n’étant qu’au nombre de cinq,

Le champ de leurs investigations

Et la nature de leurs révélations

Se trouvent fort restreints.

L’univers presque entier

Leur demeure caché.

L’œil est incapable de voir l’air.

Il nous impose sa façon arbitraire

De constater les dimensions

Et d’apprécier les rapports entre la lumière

Et la matière.

Examinons l’ouïe maintenant.

Deux corps se heurtant

Produisent un certain ébranlement.

Les ondes transmettent au tympan,

Sous forme de sons différents,

Tous les frémissements

De l’univers.

Que faire

Pour connaître les parfums et la qualité

De notre alimentation sans les propriétés

De notre nez et de notre palais ?

L’humanité pourrait exister

Sans l’oreille, sans l’odorat, sans le goût

Mais si nous avions

Certes

Quelques organes supplémentaires

Nous découvririons

Autour de nous

Une infinité d’éléments

Que nous ne soupçonnons jamais,

Faute de moyens pour les constater.

Donc, nous nous trompons en jugeant

Le Connu

Et nous sommes entourés

D’Inconnu inexploré.

D’où je conclus que les mystères entrevus

Comme l’électricité,

Le sommeil hypnotique,

La transmission de la volonté,

Tous les phénomènes magnétiques

Nous demeurent cachés

Parce que la nature ne nous a pas donné

L’organe

Ou les nécessaires organes

Pour comprendre tout.

Suis-je devenu fou ?

Pourtant la terreur du surnaturel

Est légitime puisque le surnaturel

Est ce qui demeure voilé.

Mes organes, j’ai tenté de les aiguiser,

Pour leur faire percevoir par moments

L’invisible. Je le sens

Près de moi,

Autour de moi,

Mais je ne peux le distinguer

Car je n’ai pas l’œil qui le verrait

Ou l’organe qui le reconnaîtrait.

Souvent j’ai cru qu’une main m’effleurait.

Un soir, j’ai entendu craquer mon parquet.

Je n’ai rien vu, et n’y ai plus songé.

Mais le lendemain, le même bruit

S’est produit.

J’ai eu si peur que je me suis levé.

Je n’étais pas seul dans l’appartement !

Je ne vis rien pourtant.

Le lendemain, je m’enfermais

Et cherchais comment je pourrais

Voir l’invisible qui me visitait.

Et je l’ai vu. J’ai failli mourir de terreur.

L’évènement s’était produit hier à neuf heures.

Donc j’attendis.

Quand arriva le moment précis,

Je perçus comme un fluide,

Un irrésistible fluide

Qui aurait pénétré en moi.

Et un craquement se fit tout contre moi.

Ensuite, je me suis regardé dans la glace.

Je n’étais pas dedans.

J’étais en face.

Cependant

Je n’osais avancer,

Sentant que l’Invisible se cachait

Entre elle et moi. Je l’avais vu !

Il a compris que je l’avais vu.

Jai vu dans cette glace

Des cadavres, des bêtes effroyables

Toutes les visions invraisemblables

Qui doivent hanter l’esprit des fous,

Docteur, qu’en dites-vous,

Que voulez-vous que je fasse ?


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