[anthologie permanente] José Hierro

Par Florence Trocmé

Les éditions Circé publient Tout ce que je sais de moi, dans une traduction de l’espagnol et une présentation d’Emmanuel Le Vagueresse.  
 
Ce n’est pas de ta faute. Nous sommes 
 
Ce n’est pas de ta faute. Nous sommes 
les prisonniers d’hier.  
Le passé qui n’a pas été à nous 
nous voudrions le posséder. 
Regarder la lumière du jour 
tout son amère nudité. 
Penser qu’il nous est arrivé 
ce qui plus jamais ne pourra être.  
 
Ce n’est pas de ta faute. Nous marcons 
dans le noir. Nous vivons san savoir. 
Ce n’est pas de me fauate, mais 
tous les deux nous devons souffrir. 
Purifier par la tristesse 
ce qui a été avant.  
 
Nous jetons des pierres contre le ciel, 
et des pierres tombent sur nous de là-haut. 
Le mal que nous avons fait, nous ne savions pas 
dans quelles mains il allait tomber. 
Nous avons mis du fiel dans nos sillons 
et les fruits ont le goût du fiel.  
 
Le mal qui nous rend le plus tristes 
c’est celui qui n’étais pas voulu.  

 
No tienes tú la culpa. Somos  
 
No tienes tú la culpa. Somos  
los prisioneros de ayer. 
El pasado que no fue nuestro 
la quisiéramos poseer. 
Contemplar a la luz del día 
toda su amarga desnudez. 
Pensar que ha sido de nosotros 
lo que ya nunca podrá ser.  
 
No tienes tú la culpa. Vamos 
ciegos. Vivimos sin saber. 
No tengo yo la culpa, pero 
los dos debemos padecer. 
Purificar con la tristeza 
lo que ya fue.  
 
Tiramos piedra contra el cielo 
y nos caen piedras desde él.  
El mal que hicimos, no sabíamos 
en qué manos iba a caer. 
Pusimos hiel en nuestros surcos 
y los frutos saben a hiel.  
 
El mal que más nos entristece 
es el que no se quiso hacer.  
 
José Hierro, Tout ce que je sais de moi, traduction et postface d’Emmanuel Le Vagueresse, Circé, 2014, 17,30€, pp. 68 et 69.   
 
Quatrième de couverture :  
À la fois figure familière du panorama poétique espagnol depuis plus d’un demi-siècle et récemment redécouvert dans son pays, qui le récompensa de prix prestigieux, José Hierro (Madrid 1922 – Madrid 2002) devint un classique immédiatement après sa disparition et méritait que l’on connût sa poésie de ce côté-ci des Pyrénées également.
Cette poésie, pas plus que son auteur, ne « s’exila » dans des terres abstraites ou virtuelles, mais elle parvint à dire ce qu’elle voulait signifier en toute époque, des années quarante aux années quatre-vingt-dix, notamment dans une période, celle de la censure du régime franquiste, où il était dangereux de braver les interdictions de penser ou d’écrire différemment par rapport à la vulgate officielle.
Peut-être parce que Hierro considère que sa poésie, et que toute poésie, doit surtout servir à « témoigner », l’artiste est alors pour lui celui qui « ne veut pas seulement raconter ce témoignage, mais le transmettre, transmettre cette maladie par l’intermédiaire de l’aiguille de l’art », selon les propres mots du poète, quelques mois avant sa mort.
Cette anthologie, la première à paraître en France, de ce grand écrivain de langue espagnole, embrasse la totalité de sa production poétique, de ses tout débuts en 1947 avec Terre sans nous (Tierra sin nosotros) jusqu’en 1998 avec Carnet de New York (Cuaderno de Nueva York) et montre la cohérence d’un parcours de vie et d’écriture, où le social et l’intime se conjuguent à l’envi, entre poèmes de « reportage » et d’« hallucination » – comme les baptisa la critique –, et, parfois, dans un mélange de ces deux stratégies d’écriture : des poèmes, en tout cas, où la préoccupation de l’humain dans l’Histoire ravagée n’empêche pas l’attention à des formes exigeantes et renouvelées, en dépit des modes et des censures, pour que le lecteur ait toujours accès à ce que veut lui faire partager José Hierro : « tout ce que je sais de moi » et des autres. 

Rencontre autour de José Hierro 
le jeudi 27 novembre de 18h à 19h45 
Les Cahiers de Colette 23/25 rue Rambuteau 75004 Paris