L’avantage avec le système social français, c’est qu’il est juste, égalitaire et bien conçu. Prenez la retraite par exemple : après plusieurs années à cotiser patiemment à des caisses gérées aux petits oignons, l’individu âgé, qui sent le poids des années s’accumuler, peut arrêter son activité et prendre une pension finement calculée, et ce, qu’il soit artisan, commerçant, patron ou salarié. C’est, vraiment, le bonheur.
D’ailleurs, ça marche si bien qu’on a accompagné ce modèle d’une myriade de règles et lois pour la gestion de la retraite française, et qu’on a créé des douzaines de régimes différents qui donnent à l’ensemble ce petit parfum de foisonnement luxuriant que seule une vraie jungle en folie parvient à fournir. Moyennant quoi, tout ceci sentant le succès à plein nez, des douzaines de pays se sont empressés de copier ce modèle.
Cela fait maintenant 70 ans qu’il est d’application en France, et la réussite est totale. La justice intrinsèque à ce modèle aura permis à toute une génération d’en profiter longtemps, en s’assurant que la prochaine, celle qui arrive, doucement, à maturité pour en profiter, n’aura rien du tout. L’égalitarisme, socle solide sur lequel la retraite française par répartition fut bâti, permet maintenant à des gens qui ont cotisé toute leur vie de toucher les clopinettes réglementaires prévues par les textes, pendant que d’autres, dans l’un des régimes ultra-favorables (mais égalitaire, qu’on vous dit) s’en sortent fort bien. Enfin, l’ensemble ayant été créé par des gens malins et intelligents, la gestion, taillée au cordeau, assure un avenir radieux aux finances publiques lourdement impliquées dans la survie du système.
Depuis 40 ans, les gouvernements successifs ont pris conscience du petit décalage grandissant entre ceux qui abondent à ces régimes et ceux qui en profitent. Depuis 40 ans, les réformes essentielles ont toutes été soigneusement remises à plus tard, et par de vaillants bricolages microscopiques, ont permis aux douzaines d’usines-à-gaz indéchiffrables de survivre quelques années de plus.
Ce qui veut dire que les jeunes retraités qui arrivent maintenant pour toucher leur dû n’ont absolument aucune raison de se plaindre, quand bien même doivent-ils attendre de plus en plus longtemps que leurs premières pensions tombent sur leurs comptes en banque, comme s’il y avait un compte sur lequel aurait été capitalisé les sommes qu’ils ont cotisées pendant toutes ces années. Ah la la, les naïfs : mais non, jeunes retraités, vous devriez savoir que l’argent pour votre retraite n’est pas celui que vous avez cotisé, qui a été cramé depuis belle lurette par vos ancêtres, aïeux et autres prédécesseurs retraités. Non, l’argent qui sert à votre retraite est ponctionné actuellement. C’est ça, la magie du système collectiviste par répartition : tant que le nombre de retraités diminue et que le nombre d’actifs augmente, tout va bien. Dès que ce n’est plus cas, pouf, effet ciseau et fourchette en plastique, l’argent vient à manquer.
Tant et si bien que la faillite se profile pour certaines caisses. Oui, vous avez bien lu le mot faillite, mais celle-là est de plus en plus tangible. Et le plus intéressant ici n’est pas que cette faillite soit en ligne de mire pour 2017 pour l’AGIRC, mais bien qu’elle l’était déjà en octobre 2012. Devant cette menace, les partenaires sociaux (nos syndicats bien aimés) se sont bien vite réunis, ont englouti quelques petits fours, quelques flûtes de champagne, ont discutaillé pendant des heures, et ont décidé un petit gel des revalorisation des pensions, et voilà, on peut repartir chacun de notre côté, youkaïdi youkaïda. Bilan, deux ans plus tard, le constat est le même : la faillite est toujours prévue pour 2017. Bien joué les gars, merci !
Bon, il est vrai que 2017, ça fait tout à fait futuriste (c’est, par exemple, l’année de décor choisie pour The Running Man ou d’autres impérissables navets futuristes comme Barb Wire). Mais bon. Vu d’un 2014 déjà passablement entamé (dans un mois et demi, nous sommes en 2015, mes petits amis), c’est dans deux ans. Et une faillite de l’AGIRC dans deux ans, ça nous met tout de suite une ambiance du tonnerre, ne trouvez-vous pas ?
D’un autre côté, deux ans, ça laisse largement le temps aux zorganismes paritaires de trouver des solutions, qui sont de toute façon nombreuses : augmenter les cotisations (facile, elles sont si basses !), égaliser par le bas les pensions des hommes et des femmes, augmenter encore l’âge de la retraite, diminuer les pensions versées… Vous voyez, il y a de quoi faire. Oh, bien sûr, sucrer la multitude de régimes spéciaux n’est absolument pas à l’ordre du jour. Aligner les retraites du public sur celles du privé n’est même pas envisageable en rêve. Cela aurait un impact non négligeable, mais on a encore deux ans pour agir, hein, on n’est pas au bord de la faillite, mon brave monsieur.
Bref, l’avenir semble déjà tracé pour nos futurs retraités, et on sent qu’avec le Prozac, les ordonnances de myo-relaxants et la vaseline vendue en barils de 208 litres, leur retraite va s’en trouver considérablement améliorée.
Et vous verrez que grignoter des antidépresseurs et arriver au bout d’un baril leur sera chose aisée, surtout lorsqu’ils apprendront que, pendant ce temps, certains dirigeants bien introduits n’ont aucun mal à se construire un avenir de retraité particulièrement doré. Prenons (presque au hasard) le cas joyeux de Gérard Mestrallet. Je dis joyeux parce qu’à sa place, la retraite va décidément avoir un parfum bien agréable : malgré les ronchonnements du gouvernement, le patron de GDF-Suez n’aura pas à renoncer à sa retraite chapeau qui devrait s’élever à 831.641 euros à partir de son départ, au printemps 2016.
Bien évidemment, un contrat est un contrat et c’est donc dans le respect de celui-ci que l’État se voit obligé d’accepter une si jolie retraite. Comme quoi, s’il peut largement remettre en cause un contrat d’armement avec la Russie, ou un autre d’exploitation avec Ecomouv (ce qui devrait d’ailleurs largement dissuader quiconque d’entreprendre avec la République française), il a plus de mal lorsqu’il s’agit de ce genre de matières. Ou peut-être est-ce dû au délicieux capitalisme de connivence que les élites françaises se sont employées à mettre en place sur les 40 dernières années au moins et qui a abouti à la mise en coupe réglée du pays par une caste fort réduite de personnes bien introduites dans tous les milieux ? Peut-être le cas Mestralet comprend un élément de rémunération déjà acté par les actionnaires du gazier en 2009 et 2012, et désormais validé par le Haut comité de gouvernement d’entreprise saisi par GDF-Suez, justement parce que les actionnaires et le Haut Comité truc s’entendent tous comme des larrons en foire ?
Eh bien justement, lorsqu’on épluche quelques intéressants papiers (pas tous jeunes, mais fort à propos dans notre cas), comme par exemple celui de Ali Dardour, de mai 2009, intitulé L’influence des liens humains entre administrateurs de sociétés cotées sur la rémunération des dirigeants, on comprend tout de suite que l’hypothèse formulée tient la route. Si l’État grogne mais laisse faire, c’est parce qu’au final, tout le monde s’y retrouve fort bien.
Cliquez sur l’image pour l’agrandirNotez la présence, douillettement encastrée au milieu, de GDF-Suez, pas loin de Veolia (dont le patron, Henri Proglio, détient six autres mandats dans les sociétés du SBF 250), Thales, France-Telecom ou BNP-Paribas. Tous les comités exécutifs de ces sociétés comprennent des gens qui ont des mandats dans d’autres sociétés. Tout ce petit monde se connaît, et tout ce petit monde connaît fort bien les dirigeants politiques et gouvernementaux. Autrement dit, lorsqu’on entend Macron expliquer qu’il n’avait guère de marge de manœuvre pour modifier ces dispositions contractuelles, ce n’est pas pour des raisons morales ou juridiques, raisons sur lesquelles s’assoit largement l’État quand il le veut, mais bien plus simplement parce que les petits copains n’auraient pas apprécié.
Oui, Français, c’est ainsi que ça se passe en France : vous cotisez à des caisses en faillites, gérées par des syndicats et un patronat qui s’en foutent, pour une retraite que vous n’aurez pas, et au profit de dirigeants et de politiciens qui ont mis le pays en coupe réglée à leur seul bénéfice.
Sympathique, non ? Décidément, un baril de 208 litres de vaseline « Passion Natural » ne sera pas de trop.
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