Les premiers romans tentent souvent de déballer idées et personnages accumulés durant une vie. Chez Francine Brunet, il n’y a pas d’exception à cette règle, les personnages diversifiés pullulent; bien sûr un Nain, un cousin épileptique, un dur à cuire manchot (Trois Gallons), une tante qui se déplace en rampant, une autre à la mémoire défaillante et, en bout de piste, une mère percluse de culpabilité d’avoir confié son fils Edmond à ses sœurs. Cette famille atypique serait déjà un roman en soi, mais s’ajoute à la trame narrative un mystère à La Tuque. Une maladie non identifiée court et les inspecteurs se penchent sur la question : est-elle liée au trafic de drogue qu’ils tentent de démanteler? Une Asiatique à la beauté d’une poupée de porcelaine arrive avec son expertise de médecin légiste en stage. Le pont entre la famille d’Edmond et l’équipe d’enquêteurs est Fernande Pouliot, l’infirmière plus que parfaite, si dévouée qu’on se sent des fainéants à ses côtés. Comme elle est la soignante des tantes d’Edmond, une relation particulière se développera entre lui et elle. L’intrigue policière est intéressante et j’avoue avoir frémi devant le sadisme de Trois Gallons qui poursuit le but de se venger du Nain qu’il soupçonne de lui avoir lancé un sort.
Bien évidemment, avec autant de personnages, les intrigues affluent. Jamais une seconde de répit, encore moins d’ennui, si l’on aime les fresques baroques. J’ai été subjuguée par le personnage principal; heureusement, car on peut s’y perdre un peu. Mais du début à la fin, malgré les intermissions dues à l’enquête en cours, le point pivot est Edmond, cet être de petite taille, curieux, qui assimile tout comme une éponge. N’en doutez pas une seconde, il vous fera bondir de surprise en surprise. Malgré qu’il ait été couvé de près par ses tantes et de plus loin par sa mère habitant la maison d’en face et qu’il n’ait jamais mis les pieds dans une école, il tient un cahier dans lequel il écrit ce qu’il pense. On y reconnait clairement des chiffres, mais pour le reste, on n’y comprend rien.
J’ai vraiment eu un coup de cœur pour le style bondissant et mature de Francine Brunet. Il arrive parfois qu’on entende l’auteure écrire, ici l’auteure s’efface, l’histoire prime. Son style vole au-dessus des intrigues et des personnages, l’assurance est remarquable. Certaines phrases semblent sortir directement d’un tableau coloré où les personnages s’articuleraient devant elle, au gré de son inspiration. Aucun doute : je suivrai cette auteure au pas, j'avance sans l'ombre du doute, cette auteure a un talent pour raconter et une imagination débordante.
Le Nain
Francine Brunet
Stanké, 2014
236 pages