L'affaire Texaco-Chevron en Equateur : une des pires désastres environnementaux de la planète
Depuis près de 20 ans, une succession de procès oppose la compagnie américaine Texaco-Chevron à des habitants touchés par la pollution liée à l'exploitation pétrolière en Equateur.
Il est aujourd'hui reproché à Texaco-Chevron d'être responsable d'avoir déversé au moins 70 millions de litres de résidus de pétrole et 64 millions de litres de pétrole brut sur un territoire de 2 millions d'hectares de l'Amazonie équatorienne. Eléments qui ont été déterminés par la justice équatorienne après neuf ans de procès. Tout a été pollué, comme le montrent les témoignages et les expertises, l'eau, l'air, les sols, au point que les habitants furent victimes de maladies dégénératives, cancers, malformations, empoisonnements.
Plusieurs tribus vivaient dans la région impactée par les 356 puits et leurs stockages de produits et déchets toxiques à ciel ouvert. Deux d'entre elles, les Tetete et les Sansahuari, ont complètement disparu, tuées par les intoxications délétères. Finalement, en février 2011, la cour de justice de Lago Agrio a condamné Chevron à verser plus de 18 milliards de dollars pour la remise en état des zones dévastées par ses méthodes de travail et l'indemnisation des victimes. C'est le chiffre le plus élevé dans l'histoire des indemnisations prescrites par la justice. Mais la Cour nationale de justice (CNJ) a ensuite divisé de moitié cette amende, la réduisant à 9,5 milliards de dollars. Le montant avait été doublé au motif que la compagnie Chevron n'avait pas présenté d'excuses. C'est cette décision qu'a finalement annulée la CNJ.
Puis ce jugement a été cassé à New York en mars 2014 par le juge Lewis Kaplan, en argumentant que les plaignants "utilisaient des méthodes mafieuse pour soutirer de l'argent à une entreprise très riche".
Il faut savoir que le chiffre d'affaires annuel de Chevron est de plus de 228 milliards de dollars (en 2013), dépassant ainsi largement le PIB de l'Équateur (91,4 milliards de dollars en 2013). Mais le géant de l'industrie pétrolière refuse de payer pour ses crimes...
L'objectif des plaignants et de Maître Pablo Fajardo est ainsi aujourd'hui d'obtenir la saisie des actifs de Chevron dans plusieurs pays. En plus des Etats-Unis et de l'Equateur, d'autres procès se déroulent actuellement au Canada, en Argentine et au Brésil notamment.
Le témoignage de Maître Pablo Fajardo Mendoza
Pablo Fajardo Mendoza a passé plus de vingt ans de sa vie à dénoncer les crimes contre l'environnement et la santé publique de la compagnie pétrolière Chevron-Texaco en Amazonie. A l'occasion des 10 ans de L'Appel de Paris" qui s'est tenu à l'UNESCO le 14 novembre 2014, et qui a notamment pour objet de vouloir faire reconnaître les atteintes à la santé et à l'environnement comme crime contre l'humanité, il a pris la parole pour dénoncer cette catastophe écologique et appeler à la justice sur cette affaire.
"Il y avait du pétrole partout" raconte-t-il, dans les champs, dans les rivières et même dans l'air... les camions de Texaco aspergeaient volontairement de pétrole les routes de terre, en faisant une sorte d'asphalte improvisé qui empêchait la poussière de se soulever. "L'entreprise construisait toujours ses réservoirs d'eaux usées le plus près possible d'un cours d'eau, histoire de s'en débarrasser facilement et à moindre coût." Ces déversements ont entrainé des impacts environnementaux et sanitaires catastrophiques. Après le sol, le pétrole a pollué l'eau qui, à son contact, s'est chargée de soufre et d'autres produits toxiques et qui, en s'évaporant, est retombée en pluies acides sur la forêt.
Voici son témoignage (voir la vidéo ci-dessus) :
"Le sujet qui m'occupe actuellement est la lutte de plus de 30 000 paysans et indigènes en Equateur contre la Chevron Corporation. Dans le cas de l'Equateur, l'entreprise Chevron a mené des activités pendant 26 ans consécutifs et versé plus de 60 000 millions d'eau toxique dans les rivières en Amazonie équatorienne. Elle a construit plus de 1.000 fosses ou piscines et y a versé les déchets toxiques de l'industrie pétrolière. Elle a recouvert de pétrole brut plus de 1.500 kilomètres de routes et a effectué des dizaines de versements de pétroles qui ont affecté toutes les rivières de l'Amazonie équatorienne.
Cette atteinte à l'environnement causée par Chevron a aussi induit un dommage à la culture des peuples indigènes de manière à ce qu'au moins deux peuples ont disparu au cours des premières années des opérations extractives de Chevron en Amazonie équatorienne.
Mais ce qui est plus grave encore c'est que les atteintes de Chevron continuent de provoquer et de causer la mort de centaines de personnes par année. Selon les statistiques de différentes études de santé publique, il existe des taux de cancers, de leucémies, de fausses couches jusqu'à trois fois plus élevés par rapport au reste de l'Equateur. Ces dernières années, selon les données dont nous disposons, au moins 2.000 personnes sont décédées de cancer an Amazonie du Nord. Tous ces cas peuvent entièrement être attribués à aux atteintes à l'environnement (et finalement à l'Homme) de Chevron en Amazonie.
Pour cette raison, 30.000 indigènes et paysans, il y a 21 ans, ont commencé à lutter dans les cours de justice pour obtenir réparation. Aujourd'hui, nous avons gagné un procès mais Chevron refuse de répondre à l'ordre de justice et de payer pour les crimes commis dans nos territoires, dans mon Amazonie équatorienne. Au lieu de cela, elle attaque les victimes, les peuples indigènes et les avocats qui les défendent.
Nous sommes engagés dans cette lutte avec l'Etat équatorien. Nous sommes tous victimes de l'agression féroce de Chevron. Par conséquent, cette bataille ne s'arrête pas ici. Nous menons des actions devant les cours de justice nord-américaines, canadiennes, brésiliennes, équatoriennes, argentines, et aussi maintenant devant la Cour Pénale Internationale. Nous cherchons à obtenir justice partout ! Je crois que l'unique manière pour y arriver, pour obtenir la réparation des dommages, éviter qu'il y ai plus de morts encore, que les crimes commis par Chevron ne se répètent nul part ailleurs dans le monde, et qu'aucune entreprise ne fasse de même, c'est avec l'unité des peuples, avec la lutte collective.
J'appelle les scientifiques, les médias, à mener des investigations en Equateur et partout dans le monde pour effectuer des recherches concernant les atteintes à l'environnement et les effets sur la santé, que tous nous engagions nos talents et nos capacités pour arriver ensemble à obtenir justice. Je vous invite à participer à cette bataille pour le bien de l'humanité."
Le combat continue
La catastrophe écologique engendrée par Chevron Texaco est considérée comme 3 000 fois plus importante que celle de l'Erika qui s'échoua sur les côtes bretonnes en 1999, et 30 fois plus imposante que celle de l'Exxon Valdez, qui noircît l'Alaska en 1986. Mais cette catastophe n'est pas le produit d'un accident ! " Elle a été intentionnelle, planifiée de façon à maximiser les rémunérations de la multinationale ", affirme Pablo Fajardo.
Si Pablo Fajardo a gagné un procès, il n'a pas gagné la guerre. Goliath ne lâchera pas le morceau facilement. Chevron est la 2e plus grande entreprise des Etats-Unis et la 7e au monde. Mais cette bataille pour la justice ne concerne pas que l'Equateur, mais bien toute l'humanité. La mobilisation derrière Pablo Fajardo est aujourd'hui mondiale, et prend chaque jour plus d'ampleur. Partout des Comités de soutien à la révolution citoyenne se constituent. Il est temps que les atteintes à l'environnement et à la santé des population soient enfin reconnues comme crimes contre l'humanité.
Le 26 juin 2014 à Genève aux Nations-Unies, lors du 26e Conseil des Droits de l'Homme sur la responsabilité des entreprises sur les droits humains, Maître Pablo Fajardo a de nouveau plaidé pour obtenir justice. Il a notamment réussi à obtenir l'adoption d'une résolution historique : l'élaboration d'un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer les activités des sociétés transnationales. Cette résolution est historique car elle peut potentiellement contribuer à mettre fin à l'impunité dont bénéficient trop souvent les sociétés transnationales pour les violations de droits humains commises, en particulier dans les pays du Sud, et garantir l'accès à la justice aux victimes de leurs activités. Il faut d'ailleurs savoir que les pays occidentaux ont tenté jusqu'à la dernière minute de s'opposer à cette résolution en utilisant tous les moyens pour faire pression sur les autres États membres du Conseil des droits de l'homme.
Le combat pour la justice continue ainsi. Et on ne peut que saluer et féliciter le courage et la détermination de Pablo Fajardo, le petit avocat qui fait trembler Goliath.
Stella Giani
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