Pierre-Henri Gouyon, chercheur sur la théorie de l'évolution, part à la charge contre une vision de la biodiversité héritée de la bible et contre les pratiques agricoles modernes qui détruisent la richesse de l'environnement, et menacent sa survie.
Pierre-Henri Gouyon - Biodiversité par lesernest_lemonde
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« Hécatombes animales ? » La biodiversité se cache pour mourir
Thibaut Schepman | JournalisteDes baleines-pilotes mortes sur la côte en Floride, le 23 janvier 2014 (Carolina Hidalgo/AP/SIPA)
On pourrait l’appeler le paradoxe du banc de poissons morts. On l’observe sur Facebook comme dans nos discussions entre amis. Dénoncez – ou montrez grâce à une photo – la mort de centaines de poissons, de plusieurs lions de mer de ou encore de quelques baleines échouées. Vous obtiendrez l’indignation de votre interlocuteur ou des centaines de partages sur Facebook.
Regrettez « la sixième extinction massive des espèces » ou prononcez le mot « biodiversité », et vous obtiendrez au mieux un sourire compatissant, au pire un bâillement ou une blague sur la souffrance des légumes qui sont mangés par les végétariens.
Dernier exemple en date : ce post du blog Pilulerouge qui recense les « hécatombes animales en série que nous cachent les médias ». En s’appuyant sur des articles de journaux, son auteur (que nous n’avons pas réussi à joindre) – dresse une liste impressionnante de drames locaux : le plus souvent des poissons, oiseaux ou mammifères morts en masse à cause d’une maladie, d’une pollution locale ou sans explication.
Cette liste a été partagée des milliers de fois avec indignation sur Facebook et Twitter. Sauf que ces histoires sont grosso modo à la biodiversité ce que le fait divers est à la justice. Elles ne nous apprennent quasiment rien sur l’état de notre planète, elles font diversion.
Théorie du complot biologique
En 2011, la mort de deux millions de poissons dans le Maryland avait indigné et alimenté les plus loufoques théories du complot. Mais elle n’était due qu’à une vague de froid, un grand classique. Le tout alors que – mis à part le génial coup médiatique de la dessinatrice Pénélope Bagieu –, la condition halieutique peine à mobiliser les foules.Pierre-Henri Guyon, professeur au Muséum national d’Histoire naturelle, confirme :
« Ces exemples intéressent parce qu’il y a des images qui permettent de choquer. Le problème, c’est que ce qui est vraiment inquiétant en termes de biodiversité ne peut pas être montré aussi facilement. On sait que l’action de l’homme et les millions de molécules chimiques que l’on introduit chaque jour dans l’environnement sont extrêmement dommageables pour la biodiversité, mais ces liens sont difficiles à prouver et encore plus à illustrer. »
La mort trompeuse de l’ours blanc
Pire, tenter de dénoncer des phénomènes manifestes via ces faits divers du vivant est souvent une mauvaise idée. En août 2013, le Guardian publiait en une la photo d’un ours blanc mort de faim et accusait la fonte de la banquise, relançant subitement l’intérêt du public pour le changement climatique. Sauf que cet ours, qui a effectivement a été affaibli par la fonte de la banquise, est plus probablement mort de vieillesse.Pour le biologiste spécialiste de l’évolution, c’est la preuve d’une mauvaise compréhension du vivant :
« La biodiversité est plus complexe que le simple sujet de la disparition des espèces. On a encore la vision de la biodiversité comme une collection fixe d’espèces qu’il faut protéger. Or, c’est au contraire un phénomène en mouvement perpétuel, une dynamique qui se manifeste par ce que l’on appelle la divergence des lignées, c’est-à-dire le moment où les éléments d’une même espèce divergent suffisamment pour créer de nouvelles espèces.Comment faire passer ce message ? Certains misent sur les sciences participatives ou les fictions éclairées. Le chercheur hésite et lance :
Le problème actuel, ce n’est pas seulement qu’il y a beaucoup d’animaux qui meurent, ou même qu’il y a plus d’animaux qui meurent que d’animaux qui naissent, c’est que la divergence des lignées est aujourd’hui beaucoup plus lente que l’extinction très rapide des espèces. Le moteur de la biodiversité est en panne, c’est ça le problème. »
« Le film de Hulot [ “Le Syndrome du Titanic”, ndlr] était bien, même très bien. Il montrait bien comment l’homme menace sa survie en bonne condition sur la planète et il rappelait qu’on ne peut pas résoudre les problèmes écologiques sans s’attaquer aux problèmes sociauxPierre-Henri Guyon aurait aussi pu mentionner sa récente et très drôle conférence présentée aux Ernest. Elle vise à nous faire penser le vivant non plus comme rangé dans des cases mais plutôt en évolution comme un arbre. A l’heure où nous publions cet article, elle a été vue 15 000 fois sur Dailymotion et partagée plus de 300 fois sur Facebook.
. Bon, ce film a été un fiasco, sûrement parce que tout le monde s’en fout un peu, parce que les gens sont déjà très habitués à entendre parler de catastrophe et aussi un peu parce qu’il est malheureusement arrivé juste après celui de Yann Arthus-Bertrand [ “Home”, ndlr] qui se contentait en gros de montrer que la Terre est jolie. »