Billet de Maestitia, par Myriam Ould-Hamouda…

Publié le 18 novembre 2014 par Chatquilouche @chatquilouche

Ou la peur du vide, entre deux rives

Début de soirée, appartement X. Une dépouille git sur le canapé rouge. Pas un bruit. C’est le calme qui succède à une journée effrénée. Ou peut-être celui qui précède un orage encore ankylosé…

 Elle se lève péniblement. Se dirige d’un pas lourd vers la salle de bain. Fixe un instant le miroir qui lui fait face, vite détourne le regard. Dégage son visage de son masque fardé. Le plonge entre ses mains mouillées. Puis le relève maladroitement. Et toujours ce miroir qui lui fait face. Ce miroir qui jamais ne la lâche. Ce miroir qui la suit à chacun de ses pas. Elle scrute ce visage qui l’observe odieusement. Ce visage qui lui échappe et qui l’effraie aujourd’hui. Ce visage qui ne lui appartient pas.

 Une larme a coulé. Son pas s’est pressé. Son corps échoué sur cet encore canapé rouge. À travers la fenêtre embuée, le ciel qui s’assombrit semble annoncer le départ du soleil pour d’autres horizons. Un oiseau tombe à terre. Mais, à cet instant, tout cela lui échappe. Elle ne voit plus, n’entend plus, ne sent plus. Elle est partie, ailleurs. Douloureux voyage intérieur. Et son enveloppe corporelle n’est plus qu’œuvre fade fondue en ce canapé rouge. Comme chaque soir, une dépouille ici git.

 C’est un brouhaha inaudible qui écorche ses tympans. Une fourmilière qui grouille dans sa boîte crânienne. Un feu féroce qui la consume de l’intérieur. C’est un cruel poison qui la pénètre par tous les pores. Parce qu’aux fantômes du passé se seront mêlés ces paradoxes qui la broient. Ces pourquoi ces comment auxquels ne subsiste aucun écho. Parce que toutes ces émotions enfouies chaque seconde de cette journée se seront soudain exhibées. Plongée en un mutisme inaccessible, rien de ce chaos n’apparaît. Et si ce que l’on ne peut distinguer n’existait pas en vérité ?

 Et elle, existe-t-elle d’ailleurs ? Qui est-elle dans la réalité ? Quelle est la réalité ? Est-ce ce monde auquel elle s’efforce de s’adapter ? Est-ce ce monde auquel elle tente d’échapper ? On nommera instant Folie – puisqu’il faut nommer – cet instant où plusieurs réalités se confondent sourdement. Soudain, le sol se dérobe sous ses pieds. Elle veut tout, dans l’excès. Qu’importe les paradoxes enfouis, tout lui semble à portée de main, hypersensible assumée. Alors, à nouveau, elle croit en la Vie. Pas celle d’un quotidien insipide, non. La vraie. Celle qui enivre, celle qui fait vibrer. Celle où une passion ardente ne cesse de brûler dans son ventre, la transperce, la transporte en un monde hors de portée. Celle où lucidité peut malgré tout rimer avec légèreté. Elle n’est pas malade, non, elle est juste différente. Ni meilleure ni pire, juste, différente. Mais au premier verre qui grise, succède la bouteille qui brise. Et tout, soudain, lui semble trop abrupt. Hypersensible inadaptée. En un grand écart, elle fléchit. Ses doigts se figent. Ses yeux fixent cette page blanche. Toutes ces pensées effrénées aliénées en un corps à la dérive. Et parce que rien ne saura s’échapper de cette dépouille sclérosée, un tsunami féroce l’emportera, loin, trop loin. Quand un sourire se mêle aux larmes.

 Elle est. N’est plus. Est. N’est plus. Et cette douleur qui s’accentue. Celle que personne ne voit, n’entend. Qui pourtant est. Trop, et plus encore. Parce qu’aucun mot déposé ne sera jamais parvenu à traduire ses maux sauvages. Et si ce sang qui se répand sur le canapé parvenait à faire sortir un peu de cette abjecte douleur ? Et si cette eau de javel savait décaper son intérieur souillé ? Et si ce train, dans un choc, pouvait exhiber son moi défiguré au quidam aveuglé ? La raison s’est éclipsée. Son corps se tord en une douleur infinie. Demain ne sera qu’en ses bras. Ou ne sera pas.

 Parce que cette seule envie qui subsiste, celle d’en crever, est dépossédée par sa seule pensée. Parce qu’à travers son regard, la peur de ce vide n’est plus. Parce qu’il incarne tout ce à quoi elle ne croyait plus. Sa vue se brouille. Un orage éclate. La terre tremble. Le trou noir. Elle se relève. Derrière la fenêtre, les lampadaires déshumanisés ont évincé l’éclat de cette lune oubliée. Son regard se pose sur ce canapé qui lui semble plus rouge que jamais. Rouge sanglant. Elle tend sa main gauche vers son sac à main. Ouvre la fermeture éclaire. Attrape hâtivement un Lysanxia. Demain, tout ça appartiendra au passé. Ses paupières se baissent. Le canapé rouge n’est déjà plus.

Bip-bip, bip. Petit matin, 7h15, heure d’été. Sur le canapé rouge, une dépouille git. Elle ouvre un œil. Puis le second. Se lève péniblement. Se dirige d’un pas lourd vers la salle de bain. Fixe un instant le miroir qui lui fait face, vite détourne le regard. Travestit son visage pour cette nouvelle journée. Toujours ce miroir. Une larme s’échappe. Rimmel coulé. Elle s’élance en ce quotidien digéré.

Même joueur joue encore.

Notice biographique

Myriam Ould-Hamouda (alias Maestitia) voit le jour à Belfort (Franche-Comté) en 1987. Elle travaille au sein d’une association pour personnes retraitées où elle anime, entre autres, des ateliers d’écriture.  C’est en focalisant son énergie sur le théâtre et le dessin qu’elle a acquis et développé son sens du mouvement, teinté de sonorités, et sa douceur en bataille — autant de fils conducteurs vers sa passion primordiale : l’écriture. Elle écrit comme elle vit, et vit comme elle parle.  Récemment, elle a créé un blogue Un peu d’on mais sans œufs, où elle dévoile sa vision du monde à travers ses mots – oscillant entre prose et poésie – et quelques croquis,  au ton humoristique, dans lesquels elle met en scène des tranches de vie : http://blogmaestitia.xawaxx.org/

(Une invitation à visiter le jumeau du Chat Qui Louche :https://maykan2.wordpress.com/)