J’ai longtemps pensé que
j’étais allergique à la science. « Longtemps » et
« allergique » étant deux termes tout à fait relatifs. Disons que mes
années lycée ont créé une distance certaine entre mes goûts personnels et la
science, alors qu’enfant je rêvais des étoiles avec un planisphère stellaire
phosphorescent accroché au mur de ma chambre.
Pourtant si mon intérêt pour
la science s’est indubitablement étiolé, une part de curiosité et de
fascination est demeurée. Une fascination entretenue par ces ciels nocturnes
dégagés, hors de la ville, où la tête levée vers les étoiles nous confronte à
l’immensité spatiale, mais une fascination également entretenue par le cinéma,
et mon amour de la science-fiction. Si je me sens très bien les pieds sur
terre, l’espace est un terrain de jeu cinématographique grisant qui m’appelle
inlassablement, et dès qu’un film prend l’infini spatial pour cadre, j’y suis
irrémédiablement attiré. Au fil du temps, c’est donc aussi les aventures SF sur
grand écran qui m’ont peu à peu réconcilié avec les sciences, par le biais de
l’astronomie, l’astrophysique, et toutes ces sciences se projetant là-haut.
Et voici qu’en l’espace de dix
jours à peine, trois films m’ont envoyé en l’air, chacun à sa façon, et chacun
avec brio. Deux d’entre eux sont des documentaires. Le premier, je l’ai vécu en
Imax, à la Géode, un sombre soir où il n’y avait pas foule dans la salle de La
Villette, et où j’ai presque littéralement plongé dans « Hidden
Universe », ce documentaire s’intéressant aux télescopes géants du désert
d’Atacama au Chili, qui scrutent les confins de l’univers. Avec lui je me suis
senti partir à des millions d’années-lumière, retrouvant par lui mes sensations
d’enfant découvrant le pouvoir d’une salle Imax, et mes rêves de gosses avec ce
ciel phosphorescent plaqué sur mon mur.
Puis ce fut au tour du
Publicis de me faire voyager vers les étoiles, avec « La fièvre des
particules » (Particle Fever), un fascinant documentaire sur le LCH du
CERN, ce centre de recherche européen situé en Suisse où des milliers d’hommes
et de femmes ont construit cette anneau géant de 27 kilomètres permettant de
faire s’entrechoquer les particules pour recréer les conditions du Big Bang et
analyser les particules qui composent l’univers. Une observation de plusieurs
années pour voir ces scientifiques tenter de mettre à jour le fameux Boson de
Higgs. Deux documentaires qui parviennent, entre les mailles de la science, à
faire naître une certaine forme d’émotion en nous mettant face à cet infiniment
grand qui nous englobe.
L’émotion berce également le
troisième film que j’ai vu ces jours-ci et qui m’a permis lui aussi de
concilier ma vieille histoire avec les étoiles et mon actuelle histoire avec le
cinéma. « Interstellar », de Christopher Nolan. Évidemment. Le
réalisateur britannique s’est taillé au fil de ses films une image de cinéaste
ambitieux et appliqué, à la mise en scène impressionnante, mais où l’émotion
n’était que circonstancielle, pour ne pas dire absente. Il la prend ici à bras
le corps.
« Interstellar » se
veut à la fois une odyssée humaine épique s’interrogeant sur le courage et le
rapport de l’homme à sa mortalité, sur sa capacité et son besoin de repousser
ses limites, et sur notre rapport à la nature. Mais c’est également une
exploration bien plus intime des relations filiales, et plus particulièrement
des rapports père/fille. Et l’émotion devient prégnante dès lors que l’odyssée
épique et l’exploration de l’intime s’entrechoquent.
Le film de Nolan a des défauts
évidents. Il est parcouru de quelques raccourcis scénaristiques qui risquent
plusieurs fois de le faire dérailler. Paradoxalement,
« Interstellar » est le film le plus ambitieux, le plus courageux de
Nolan, mais également l’un des plus bancals. Et pourtant, peut-être son
meilleur.
L’une des grandes réussites du
film, malgré quelques faux-pas, est ce jeu sur la temporalité, un jeu qui n’en
est pas un puisque le temps est ici, en fait, le cœur du récit d’où découle la
dramaturgie. Nolan s’en sert pour nous mettre face à l’un des grands fantasmes
humains, traverser le temps, tout en nous confrontant à l’une de nos plus
grandes peurs, la solitude.
Il y a tant de choses qui
s’entremêlent dans « Interstellar »,
le romanesque et le scientifique, le courage et la peur, l’exaltation et
l’émotion. Il y a tant d’envie que l’ambition et la puissance du film prennent
le pas sur les maladresses du scénario. Nolan vient nous prouver, un peu malgré
lui certes, que l’imperfection n’empêche pas la grandeur.
Voilà de nombreuses années que
j’ai compris que je n’étais pas un scientifique, mais il suffit d’être un
rêveur pour se laisser emporter dans les étoiles avec « Hidden Universe »,
« La Fièvre des Particules » et « Interstellar ».