Il s’agit d’un recueil de dix-huit nouvelles ayant toutes comme objet, la pêche à la mouche bien évidemment. Pour lever toute ambigüité éventuelle, pour ce qui est du sexe il ne s’agit pas de polissonneries dans les fourrés en bord de rivière et quant à la mort, il n’y a pas de cadavre filant au cours de l’eau comme dans un polar de William G. Tapply ; sexe et mort, ne sont que ces éléments incontournables de la vie, condensés dans l’extraordinaire destin des éphémères, ces insectes essentiels pour les pêcheurs, comme le démontre cet ouvrage.
Ceux qui ne pêchent pas, voient dans cette activité une occupation pépère pour retraités endormis ou « de braves individus un peu étranges et rigolos », détrompez-vous, la pêche à la mouche telle que pratiquée par John Gierach (école catch-and-release pour les âmes sensibles…) requiert de nombreuses qualités. Physiques d’abord, puisqu’il faut marcher en pleine nature montagneuse pour dénicher un coin de rivière propice puis endurer la force du froid courant et la longue attente avant de ferrer une belle truite ; il faut aussi de solides connaissances sur la faune et la flore ainsi que climatiques pour s’approprier le terrain ; notre pêcheur est bricoleur, il fabrique ses propres mouches avec des plumes et du fil, ce qui nous vaut tout un jargon technique auquel je suis resté étranger, l’une des limites de cet ouvrage.
Si la pêche à la mouche vous passionne, ce bouquin est fait pour vous, vous vous régalerez d’expéditions au bord de la Green River ou d’autres, d’expériences heureuses ou malheureuses et de toutes ces subtilités propres aux communautés de passionnés qui se reconnaissent les uns et les autres sans même se parler. Par contre, si cet univers vous est inconnu, vous y trouverez de belles histoires d’amitié, une leçon de chose in vivo et tout ce qui émerveille quand on se plonge dans des récits de Nature Writing, « Une rivière déserte sous la tempête est toujours un spectacle sublime ».
Personnellement, je suis un peu resté sur la berge, surtout au début (les cinquante pages des trois premiers textes). Pourtant je peux lister quantité de points positifs. John Gierach est certainement fortiche avec une canne à pêche mais il ne l’est pas moins avec sa plume, son écriture alerte, son humour, la précision de ses descriptions, rendent particulièrement agréables à lire toutes ces chroniques. L’esprit écologique distillé tout du long donne une idée sympathique de l’auteur et vous ne manquerez pas d’y souligner de nombreuses réflexions sur le sens de la vie, « un ami m’a dit que quand vous quittez un lieu en y oubliant quelque chose qui vous appartient, cela veut dire que vous avez grandement besoin de revenir dans le lieu en question ».
« C’est une chose que nous faisons une ou deux fois par saison, et, même si ce n’est plus aussi bien accepté socialement que ce le fut jadis, je continue à penser qu’il n’y a rien de mal à cela. Si votre pente naturelle est d’éprouver une forte envie de prendre le volant pour aller chercher la bagarre en ville, mieux vaut vous abstenir de vous saouler. Mais si, dans la grande tradition du gentleman-pêcheur, vous tisonnez le feu de camp, vous lancez dans des théories philosophiques, des simplifications grossières, des diatribes, des prêches, des confessions, puis que vous vous endormez, alors vous pouvez vous saouler si cela vous chante. »