I/ Les conséquences de l’attribution d’une extension de nom de domaine générique à un acteur commercial du secteur
La prise de contrôle de plusieurs suffixes par les grandes entreprises (et par les collectivités territoriales) fait suite à la décision de l’ICANN d’accepter la création d’extensions personnalisées pour les adresses web. Aujourd’hui, c’est le cas du « .book » qui fait polémique.
Fondée en 1994, la plateforme Amazon a commencé ses activités en vendant des livres dès 1995. Si elle s’est largement diversifiée depuis, le secteur littéraire reste encore aujourd’hui au cœur de son marché et de sa notoriété, l’apparition de plusieurs liseuses électroniques ces dernières années (Kindle) et l’accès à de nombreux « livres électroniques » sur son site internet en sont les preuves.
En s’appropriant en toute légalité du moins vis-à-vis de la législation américaine cette extension, le monde de l’édition et les états européens se posent néanmoins quelques questions.
En droit français, cette attribution aurait été impossible pour deux grands domaines du droit :
- En droit de la propriété intellectuelle, le « .book » ou « .livre » est de toutes évidences un terme générique ne pouvant faire l’objet d’une marque. En effet, l’article L.711-2 du Code de la propriété intellectuelle donne la définition de la marque générique. Elles sont constituées des signes ou dénominations qui, dans le langage courant ou professionnel, sont exclusivement la désignation nécessaire, générique ou usuelle du produit ou du service.
Le terme « livre » ne peut pas constituer à lui seul une marque de livres car le terme est générique.
Ce principe permet donc une libre concurrence entre les divers acteurs du secteur d’activité. L’usage du terme peut se réaliser par tous mais personne ne peut se l’approprier.
- Enfin, en droit de la consommation, le consommateur doit être assuré de ne pas confondre l’extension de la marque avec la marque. Il est d’ailleurs plus acceptable pour ce dernier de faire d’une marque, un nom quasi générique (Caddie, Frigo) que l’inverse.
En effet, la tromperie définit par l’article L. 213-1 du Code de la consommation précise qu’il s’agit du fait de tromper un contractant, par quelque moyen ou procédé que ce soit, même par l’intermédiaire d’un tiers. Le délit s’applique aux contrats souscrits à titre onéreux, qu’ils aient été exécutés ou non, la tentative de tromperie étant également sanctionnée. Faire croire ou tenter de faire croire au consommateur « moyen » qu’une entreprise a le monopole d’un produit ou d’un service est constitutif d’une tromperie.
Le caractère mercantile du détenteur de la marque générique est donc en cause. Une organisation professionnelle institutionnelle pourrait par contre en être la propriétaire.
Amazon va donc, de fait, avoir un monopole sur l’utilisation de cette extension ou en concéder l’utilisation moyennant finance. L’entreprise n’ayant pour réputation d’être une œuvre de bienfaisance, ces concessions seront très largement monnayées.
En théorie, des concurrents du propriétaire pourront y prétendre de manière un peu forcée pour éviter le cybersquatting mais Amazon aura le dernier mot sur les conditions.
Pour les mois à venir, le « .book » se limitera au marché américain mais une arrivée en Europe ne manquera de soulever des questions et des procédures…
II/ Le rôle décrié de l’ICANN
L’ICANN fonctionne très mal, mais sa réforme peine à voir le jour. En décembre 2015, une réunion organisée par l’Assemblée générale des Nations Unies engagera une phase cruciale de l’évolution de la gouvernance de l’Internet.
Actuellement, tout est centralisé par l’ICANN qui est, rappelons-le, encore une société de droit californien à but non lucratif. Par le rôle de coordination qu’elle joue au sein du système d’attribution de noms Internet, elle exerce une influence non négligeable sur le développement et l’évolution d’Internet. La sécurisation de ses attributions doit être garantit pour tous les acteurs du Web, le cas du « .book » est révélateur.
Sur la discussion sur son évolution ou sur son remplacement, la position du gouvernement américain partie prenante est ambiguë, il souhaite être largement engagé pour garder une sorte de main mise mais n’a pas d’autres choix que de laisser la porte entre-ouverte face à la grogne des pays européens notamment.
En effet, ces derniers souhaitent que la gouvernance soit plus équitable et que l’Europe contribue de manière plus significative et efficace dans la gestion de l’Internet. Elle doit « formuler rapidement des propositions concrètes », c’est la formule choisit dans un communiqué envoyé après le Conseil informel des ministres chargés des communications électroniques qui s’est tenu à Milan le 3 octobre dernier. Des termes forts sont utilisés pour cerner les objectifs à atteindre etpour mieux insister sur la situation actuelle qui dure depuis déjà trop de temps « gouvernance multiacteur, ouverte, réellement inclusive, transparente et respectueuse des droits fondamentaux et du rôle des gouvernements ».
C’est dans ce contexte « politique et diplomatique » que la réunion de l’ICANN s’est tenue du 11 au 16 octobre dernier à Los Angeles pour poser les bases d’une discussion sur son évolution ou sur son remplacement. Parmi les pistes de réflexion qui ont bien avancées, la création d’une entité de supervision de l’ICANN est retenue pour être discutée ainsi que la mise en place d’une possibilité de recours contre les décisions de l’ICANN.
Il en manque encore pour rassurer tout le monde mais nous savons que la réforme sera longue. Son chemin sera parsemé d’obstacle mais elle devra aboutir pour un Internet propre et efficace.
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- Nul besoin de formalités préalables pour protéger ses créations… Besoin de preuves !