En deux ans de traitement pour dépression, j'ai eu droit à beaucoup de perles. Pour replanter un peu le décor, je souffre de symptômes dépressifs depuis que je suis en troisième (j'ai actuellement 21 ans), et je ne me suis décidée à consulter un médecin qu'à mes 20 ans, après une période dépressive si intense que j'avais voulu mettre fin à mes jours.
Et depuis quelques mois, j'ai eu le bonheur, dans mon périple médicamenteux (qui ne consiste qu'à un seul cachet par jour, pourtant), de rencontrer quelques boulets, appartenant pourtant au monde médical, qui m'ont faite me sentir comme la pire des merdes.
Lorsque je ne prends pas mes cachets, au bout de deux jours, rien ne va plus. J'ai des vertiges, des nausées, je ne tiens presque plus debout, et inévitablement, je suis déprimée. C'est ce qu'on appelle le sevrage. Mon corps me dit, en gros, "hé connasse tu vas nous donner la petite pilule magique tout de suite, ça fait deux ans que t'en donnes et là plus rien? Bim dans ta gueule". Parfois, j'oublie de le prendre, et je tombe là dedans. Un jour, c'est arrivé lorsque j'étais en formation. Je raccompagnais chaque soir ma collègue chez elle, en voiture. Après avoir failli causer une dizaine d'accidents vu mon état, ma collègue, dépressive également et connaissant donc mes difficultés, est venue avec moi à la pharmacie. Je n'avais pas d'ordonnance, plus de pilules, pas le temps d'aller chez le médecin les deux semaines précédentes à cause de mes horaires, et elle voulait m'aider à demander une boîte d'avance. Elle l'avait déjà fait, moi non. Nous sommes arrivées. J'ai exposé mon cas au pharmacien, promettant de ramener l'ordonnance deux jours plus tard après avoir vu mon médecin, lui expliquant à quel point je me sentais mal, et combien j'avais besoin de ce cachet pour pouvoir continuer à mener ma vie normalement, sans manquer de m'évanouir tous les deux pas. Sa réponse fut épique :
"Ah non, mais faites du sport, ou prenez des médicaments aux plantes. Moi je peux rien faire. C'est dans votre tête tout ça".
J'ai éclaté en larmes dans la pharmacie. J'étais fatiguée, malade, et énervée. Ma collègue, qui ne mâche pas ses mots, lui a grogné que j'étais malade, qu'il ne devait jamais avoir été dans cette situation pour dire ça. Elle m'a pris sous son bras et nous sommes parties. Je suis allée dans une autre pharmacie, suis tombée sur une gentille dame plus avenante, qui a appelé mon médecin pour lui demander l'autorisation, et qui m'a ensuite donnée ma boîte d'antidépresseurs. Dans mon piteux état, mais soulagée, j'ai ramené ma collègue chez elle non sans la remercier de son soutien, et j'ai ingéré ma drogue.
Malheureusement, le médecin qui me suit depuis que je suis toute petite est atteinte d'un cancer récalcitrant. Comme quoi ceux qui dévouent leur temps à aider les autres sont bien mal remerciés par la vie. Elle est donc souvent absente sur de longues périodes. J'ai été obligée de prendre rendez-vous avec son remplaçant, récemment. Je n'étais pas dans de bonnes dispositions, car de moins en moins timide, et donc, davantage apte à dire ce que je pense sans détour. Ce bon monsieur me demande ce que je veux. Je lui dis que je viens faire renouveller mon ordonnance de Der*xat.
"Ah bon? Pourquoi prenez-vous cela ?"
Pour m'amuser, guignol.
"Parce que je suis dépressive depuis quelques années".
"Ah bon, mais il ne faut pas se prendre la tête, vous êtes jeune, vous avez toute la vie devant vous."
T'es médecin de quoi, connard? Tu ne sais pas que c'est une maladie et que par conséquent cela ne se décide pas?
"Je ne l'ai pas décidé."
"Pourquoi êtes vous déprimée ?"
Parce que j'ai pas eu ma portion de frites à la cantine ce midi, tiens donc.
"C'est un tout, ça ne s'explique pas toujours. J'ai déjà tout raconter à Dr B. Et Dr M. Je ne vais pas le faire encore une fois. Je suis juste venue renouveler."
"J'aimerais bien que vous m'en parliez, quand même".
Putain, il va pas me lâcher.
"Cela faiit plusieurs années que ça ne va pas, mais je me suis décidée l'année dernière après une relation difficile."
"Oh mais vous avez 21 ans il ne faut pas vous pourrir la vie pour une amourette !"
C'est décidé, je lui casse la tronche.
"Ce n'est pas qu'à cause de ça, je vous dis juste que c'est le moment où je me suis décidée à me soigner."
"Quand même, juste pour un homme, mademoiselle. Il faut tourner la page et aller de l'avant".
Retenez-moi, vite.
"La page est tournée depuis longtemps. Je suis avec quelqu'un d'autre depuis 1 an et demi."
"Ah bon !!?! Mais alors vous allez mieux !"
C'est cela oui.
"Non ça n'a rien changé."
"Et pourriez-vous me dire ce qui vous perturbe ?"
Allez, je vais lui confier un truc, il sera content et il me foutera la paix.
"Mon poids".
"Ah bon, votre poids. Vous vous sentez mal dans votre corps. Vous voulez vous peser?"
"Non."
"Allez-y, cela reste entre nous".
"Non, je ne veux pas".
"Mais si, allez-y !"
"NON!!!"
La crise de nerfs arrive à pas de géants. Je ne vais pas rester calme longtemps. Ah non, pardon, je ne suis déjà plus calme.
"Très bien, très bien. Pouvez-vous au moins me dire votre taille et votre poids?"
Je lui donne. Il tapote sur son ordinateur, puis, fier de lui, retourne l'écran vers moi.
"Alors, sachez qu'avec votre taille et votre poids, vous êtes là sur la courbe..."
Je le coupe directement.
"Non mais c'est bon, je sais déjà ce que je suis, Monsieur. Je suis obèse, je n'ai pas besoin que vous me le disiez."
"En effet, oui, vous êtes obésité stade 3. Sachez qu'il existe des opérations pour les gens comme vous. Il y a le sleeve qui pourrait vous convenir. On vous agraphe l'estomac pour qu'il soit plus étroit et vous mangez donc moins."
A partir de ce moment là, j'ai lâché l'affaire, j'ai refusé tout ce qu'il me disait et j'ai amené la conversation vers la fin pour qu'il me chie enfin mon ordonnance et que je puisse m'en aller. Passons sur le fait qu'il a presque refusé de me prescrire ma pilule car je suis trop grosse pour la prendre selon lui. Je t'emmerde, connard. Bien sûr, il a trouvé utile de me dire que tout ça n'était que dans ma tête et de terminer l'entretien sur un "tounez la page sur le passé". Merci, vieux sage.
Ce ne sont que des mésaventures parmi d'autres. Je ne vais pas m'étendre sur toutes les fois où, au boulot, je me sentais tellement mal que je ne pouvais plus rien faire, mais que je ne pouvais pas l'expliquer pourquoi à mes collègues et chefs sans parler de cette maladie qui, apparemment, n'en est une pour personne. Je ne vais pas m'étendre sur cette femme médecin, un jour, remplaçante de mon actuelle, qui a refusé de me renouveller mon ordonnance car elle n'avait aucune preuve que je sois dépressive. Je ne vais pas m'étendre sur mon père qui, lorsqu'il a appris que j'étais traitée pour dépression, m'a juste dit "on a un toît sur la tête et à bouffer dans le frigo, faut pas se prendre la tête comme ça". Merci papa, je suis heureuse d'être au chaud et d'avoir à manger, je le suis vraiment, malheureusement le problème n'est pas là, et je suis tout de même reconnaissante à la vie de ce qui est en ma possession. Il ne manquerait plus que je ne sois pas consciente des bonnes choses, et là je serai bonne pour l'abattoir...
Je ne m'étendrai pas non plus sur toutes ces réflexions idiotes, comme quoi la dépression n'existe pas, que c'est juste dans notre tête, pour nous rendre intéressants, et que ce n'est pas grave. Mon amie collègue, malade également, a déjà tenté de se suicider en se découpant le bras. Elle en garde une immense cicatrice à vie. Elle m'a un jour dit, en me montrant son bras : "Tu vois, ça, c'est ce qui arrive quand je n'ai pas mes médicaments. Ne laisse personne te dire que ce n'est pas grave et que c'est juste dans ta tête, ils n'y connaissent rien".
J'aimerai bien ne rien y connaître, moi aussi. C'est vrai, la vie a l'air tellement belle quand on juge les gens sans même se demander s'ils vont bien ou pas... C'est ce qu'une de mes blogueuses préférées a soulevé dans son dernier article (Canalis, ici). On juge lorsqu'on ne connait pas, lorsque quelque chose nous est inconnu, mais si parfois on se contentait de se demander si la personne va bien ou non, ne serait-ce pas plus humain ?
Je ne sais pas si ce pharmacien s'en préoccupait tellement, avec son speech à trois sous sur les plantes et le vélo d'appartement. La deuxième pharmacienne, après quelques secondes d'hésitation, a pris en compte l'état pitoyablle dans lequel j'étais, avec mon visage en sueur, ma voix tremblante, mon amie qui me soutenait à mes côtés, et mon embarras à la déranger, à lui demander de faire ce qu'elle pouvait. Le médecin remplaçant, lui, je ne me pose même pas la question. Sans doute qu'il aimerait que j'aille bien car je suis jeune, pimpante et que ça serait plus simple de perdre du poids dans un contexte psychologique idyllique. Mais est-ce qu'il s'en soucie vraiment, je n'en donne pas cher. Mon père... Se soucie de moi. Oui, il veut que j'aille bien. Mais lorsque ce n'est pas le cas, il est, je pense, démuni. Dans l'incompréhension. Ne comprend pas, et n'essaie pas de comprendre. Cela dure depuis le collège, et depuis le collège, je passe pour l'adolescente qui fait la gueule et qui ne sourit jamais. Mais maintenant, je suis une adulte, avec des responsabilités, un boulot, un appart', un petit-ami, je souris, je vis... Et ça ne va toujours pas pour autant. Peut-être y a-t-il donc matière à réfléchir et à le démunir du coup davantage. Nous ne serons jamais en phase tous les deux, et pourtant au fond nous sommes tellement pareils. Ma mère me comprend. Parfois, elle tente de relativiser, et la réalité la rappelle à l'ordre : ce n'est pas un "la vie est belle" qui m'aidera, c'est la vie elle-même qui chaque jour me fait avancer. Les mots, bien intentionnés ou pas, ne sont que facultatifs. Mon petit-ami lui, ne comprend pas du tout, je pense. Mais il ne m'a jamais vraiment jugée. Il fait comme si ça n'existait pas. Il me dit d'arrêter mes médicaments, comme si en les supprimant de ma vie, cela supprimera la dépression. Je ne sais pas, honnêtement, si j'en ai encore besoin ou pas, ce que je sais, c'est que je suis capable d'aller durablement bien. J'ai déjà réussi. Malheureusement, la dépression, c'est comme les boutons, ça s'en va et ça revient, parfois ça reste un bout de temps et ça arrache tout sur son passage.
Sur cette comparaison délicieuse, j'aimerais juste finir... Oui, la vie est belle. Oui. Mais si elle était facilie, ça se saurait. Si nous étions tous taillés de la même manière, ça se saurait. Si nous pouvions contrôler ce qui se passe dans notre corps, ça se saurait. Une dépression se gère, oui, mais son apparition n'est pas plus contrôlable que celle d'une grippe.
Comprenons que certaines personnes sont complètement différentes de nous, que nous ne savons pas tout, et que ce qui nous est étranger n'est pas que "dans la tête" des autres. Si c'était uniquement dans la tête, les personnes les plus gravement atteintes de cette maladie n'en arriveraient pas, pour certains, à perdre la vie. Quelque chose qui n'existe pas ne peut pas tuer, normalement. Sachez-le.
Sur ce... Bonne soirée à vous tous ! Des bisous.