Kingdom est une nouvelle série de dix épisodes diffusée sur les ondes d’Audience Network depuis la mi-octobre aux États-Unis. L’action se déroule à Venice en Californie dans un gym spécialisé en boxe et opéré par Alvey Kulina (Frank Grillo), ancien champion de combat ultime qui met tous ses espoirs en son plus jeune fils, Nate (Nick Jonas) alors que celui-ci s’apprête à livrer un affrontement crucial pour sa carrière en devenir. En même temps, Ryan Wheeler (Matt Lauria), un ancien boxeur, vient d’être libéré de prison après quatre ans de captivité et fait tout pour mener une vie rangée, mais en même temps, il brûle de remonter sur le ring. Un peu comme The driver, Kingdom est somme toute une histoire classique avec une trame narrative prévisible, mais traitée avec beaucoup de sobriété et mettant en scène des personnages avec beaucoup de profondeur, et ce, bien qu’ils parlent peu. Cet univers bourré de testostérone laisse peu de place aux personnages féminins, mais nous offre tout de même un divertissement de qualité dont la suite est assurée non pas pour une saison supplémentaire, mais bien deux.
Improvisation réaliste?
Bien qu’il ait connu sa juste part de gloire par le passé, jamais Alvey n’a pu quitter l’univers des arts martiaux et passe la plupart de ses journées dans son gym, sympathisant avec tous les lutteurs en devenir et s’entraînant lui-même pour garder la forme. D’une première union, il a eu deux fils : Jay (Jonathan Tucker) et Nate aux tempéraments on ne peut plus opposés, mais qui ont tous deux été initiés à la boxe très jeunes. Jay est le fêtard type qui brûle constamment la chandelle par les deux bouts. Il aime à l’excès la drogue, l’alcool et les filles, mais tous ces plaisirs ne sont qu’une perpétuelle fuite en avant. On sait qu’il a un réel talent pour la boxe, mais il a pour ainsi dire baissé les bras puisque toute l’attention de son père est portée envers son frère Nate. Celui-ci est bien entendu le contraire de l’autre. Plus jeune, mais aussi hautement plus discipliné, il s’entraine jour et nuit en vue d’un combat qui pourrait définitivement lancer sa carrière. À la grande surprise de tous, il remporte l’affrontement et du coup se voit courtisé par quelques dénicheurs de talent, mais quelques jours plus tard, il est passé à tabac dans la rue par deux inconnus qui le laissent… K.O. : résultat? Commotion cérébrale et plus de six mois de physiothérapie.
Évidemment, Alvey est dévasté, d’autant plus que son gym connaît quelques problèmes de trésorerie. Mais la partie n’est pas nécessairement perdue puisque Ryan est désormais en liberté conditionnelle. Après trois épisodes, le passé de ce personnage nous est encore ambigu, mais on sait qu’il fréquente un centre de désintoxication. Pourtant, l’homme que nous découvrons est très serein et fait tout ce qu’il peut pour s’en sortir, y compris accepter des emplois minables comme plongeur dans une cafétéria. À ce point, Alvey a tellement besoin d’un champion qu’il paye l’employeur de Ryan afin qu’il le laisse venir s’entraîner en douce durant le jour. Plus que les arts martiaux, les deux hommes ont quelque chose d’autre en commun : Lisa (Kiele Sanchez). Ancienne petite amie de Ryan, elle l’a laissé pour Alvey et le retour de son ancien amant n’a rien pour la réjouir, à tel point qu’elle fait tout pour convaincre Jay de revenir sur le ring, espérant évincer Ryan.
D’emblée, la narration et la mise en scène de Kingdom font beaucoup penser à Looking. Comme la série d’HBO, on a peu d’intrigues à se mettre sous la dent et le rythme est assez lent, d’autant plus que les épisodes durent une heure. À quelques reprises, on sent que les acteurs se sont fait donner une mise en situation et qu’ils ont pour mandat d’improviser avec leurs lignes de scénario. Néanmoins, ils s’en tirent très bien, ce qui apporte une touche de réalisme supplémentaire à la fiction. Même chose pour les scènes de combat ou d’entraînement qui durent chacune plusieurs minutes, mais qui sont savamment chorégraphiées. Alors que dans Looking, nous baignions dans un San Francisco bucolique, caractérisé par des couleurs chaudes et un éclairage apaisant, ici, ce sont les tons de gris qui prédominent, à l’image du ghetto asphalté et des personnages qui s’ouvrent trop peu à leur entourage.
Des silences poignants
Kingdom est une série à 100 % masculine, assez rare dans le paysage télévisuel et qui a incontestablement pour modèle Ray Donovan et Banshee. Comme celles-ci, les héros parlent très peu et s’expriment par les poings. Mais ce qu’il y a d’intéressant dans ce cas-ci, c’est qu’ils ne se servent pas de leur force pour combattre des ennemis, mais pour se défouler de la façon la plus saine qui soit. On est à même de mesurer à presque chaque plan la misère qui caractérise le ghetto où ils évoluent et la boxe et les combats sont un exutoire pour tous les protagonistes. Dans le ring ou au gym, Alvey n’a plus à penser à ses problèmes d’argent, tandis que Ryan y oublie ses dures conditions de liberté conditionnelles. Ce « royaume » masculin, voire machiste est le seul endroit où Jay fait preuve d’un peu de discipline et quant à Nate, n’eût été son accident, il y résiderait en permanence s’il le pouvait.
Plusieurs ont critiqué le rôle minime et réducteur des femmes dans la série. En effet, Lisa est copropriétaire du gym et c’est elle qui s’occupe des finances de l’endroit, mais jamais elle n’est considérée ni même écoutée par Alvey qui préfère régler ses dettes en vendant ses trophées. L’autre personnage féminin de la série est Christina (Joanna Going), la mère de Nate et Jay; une toxicomane qui paye sa drogue en se prostituant. Objet sexuel pour Christina ou de désir entre Ryan et Alvey pour Lisa, comme l’écrit David Wiegand dans sa critique : « Not a very enlightened point of view for 2014. And maybe not the most enlightened programming decision either. » En même temps, trop peu de séries choisissent de se cantonner dans un univers exclusivement masculin et Kingdom rempli cette tâche à merveille, sans jamais tomber dans la caricature ou les clichés.
Sans dévoiler ses chiffres, Kingdom a été l’émission la plus regardée d’Audience Network. Après la diffusion de seulement deux épisodes, la chaîne en a commandé vingt supplémentaires aux dix déjà existants, ce qui fait qu’une nouvelle saison sera diffusée à l’automne 2015, suivie d’une troisième en 2016. L’avenir de la série étant assuré, il n’y aura donc pas de pression de la part de la production et les personnages pourront évoluer lentement, certes, mais sûrement.