Une des choses que je trouve les plus fascinantes dans les pays en développement, c’est la violence avec laquelle se manifeste l’écart entre les (très) riches et les (très) pauvres.
N’y voyez pas une sorte d’obsession malsaine là-dedans mais..disons que c’est assez perturbant parfois de noter comment deux réalités peuvent co-exister en étant diamètralement opposées. D’un côté, vous avez des gens qui sont littéralement à 1500 FCFA près de la mort, et de l’autre, des gens qui tiennent à aller faire leurs courses dans la dernière Buggati alors que les routes sont en piteux état. Bien sûr je n’invente pas l’eau chaude, ces écarts sont un peu l’essence même du capitalisme et de l’économie de marché… mais dans les pays « pauvres », je trouve l’écart encore plus violent, notamment parce que les deux (les très riches et les très pauvres) cohabitent souvent (malgré eux) de manière très proche. Du moins, c’est ce que j’ai pensé lorsqu’à Brazzaville, nous sommes passés devant cet immense château qui avait pour voisin direct, une maison en tôle qui tenait à peine debout.
Sur cette même question, il y a un truc qui m’interpelle pas mal depuis que je sillonne les quartiers résidentiels d’Abidjan: les résidences fermées.
Plus communément appelées « Gated communities« , elles sont légion dans les pays où la violence urbaine fait rage (USA, Afrique du Sud, Mexique..), soit à cause d’une faible réactivité de la police, soit à cause d’une circulation importante d’armes (soit les deux en même temps). Connaissant l’histoire récente de la Côte d’Ivoire, je peux parfaitement comprendre que des familles décident de vivre de manière recluse dans ces quartiers de ce type. Après tout, qui ne souhaite pas pouvoir dormir sur ses deux oreilles ? Mais je ne sais pas pourquoi il y a un truc qui me gêne là-dedans. J’ai l’impression qu’il s’agit d’une prison à ciel ouvert, un ghetto où l’on s’enrôle de son plein gré. La première fois que je suis passée devant une de ces résidences fermées, je croyais qu’il n’y avait qu’une immense maison derrière le portail jusqu’à ce que celui-ci s’ouvre. Et j’ai vu des rues entières, des maisons avec des jardins parfaitement entretenus. Il n’y a pas à dire, ça avait l’air très propre, sécurisé, calme.. L’endroit où l’on souhaiterait voir grandir ses enfants, parce qu’on sait qu’on peut les laisser jouer dans la rue ou aller chez le voisin, sans crainte. Mais pour ma part, ça c’est le côté pile de la pièce. Le côté face, c’est qu’en cas d’attaque, on se retrouve comme piégé (si bien sûr toutes les entrées sont verrouillées rapidement). Et surtout, de manière globale, je trouve qu’y vivre, c’est un peu créer sa propre bulle et se séparer de manière manifeste de la réalité de la ville où l’on réside. Encore une fois, je ne juge absolument pas ceux qui font le choix d’y vivre, c’est juste ce mode de vie qui soulève des questions.
Un des quartiers où j’ai vu la plus grande concentration de résidences fermées jusqu’ici, c’est la Riviera. La zone de la Riviera se situe dans la commune de Cocody, qui est probablement la commune où l’on compte le plus de personnes fortunées au mètre carré. Plus particulièrement dans la zone partant de l’hôtel Golf (Riviera III) à la zone Riviera Palmeraie. J’y suis passée plusieurs fois et en toute franchise, j’ai été abasourdie par l’architecture extérieure de la plupart de ces maisons cossues. Vous savez que les africains fortunés ont assez souvent le même type de maisons, parfois démesurées et sans réelle cohérence architecturale. Là pour le coup, j’ai vu des maisons grandes effectivement, mais globalement plutôt raffinées, aussi bien dans le choix des couleurs que l’entrée de leur palace. De manière générale, les constructions étaient plutôt modernes et de bon goût, on sent qu’il y a vraiment eu un travail d’architectes professionnels la plupart du temps.
L’autre point que j’ai trouvé intéressant par rapport à ce quartier, c’est le fait que, contrairement à ce que je pensais, la majorité des habitants ne sont pas des expatriés ou des libanais (qui ont une importante main mise sur le business en Côte d’Ivoire), mais plutôt des « ivoiriens qui ont réussi ». Et aussi, il faut le dire, d’anciens caciques du régime précédent. Du coup, ma compréhension du découpage sociologique d’Abidjan, avec les répartitions de « communauté » (expats, classe moyenne, riches, pauvres, étudiants, migrants provenant de zones rurales..) par quartier ou commune est de plus en plus claire.