Edith vous me demandez si votre contribution peut faire l'objet d'un article sur ce blog. Mais comment vous répondre non?
Il y a bien cette présentation sur "Images des mathématiques" que j'aurai tendance à qualifier de "neutre":
Alexandre Grothendieck est décédé le 13 novembre 2014 à l’hôpital de Saint-Girons (Ariège). Mathématicien d’exception connu pour la profondeur de son intuition, sa capacité à généraliser un problème jusqu’à ce que la difficulté se dissolve dans le cadre abstrait le plus large possible, ainsi que sa puissance de travail, il révolutionne la géométrie algébrique en lui donnant une portée inédite et des méthodes novatrices pour l’étudier.
Personnage complexe, il occupe une place éminente dans la communauté mathématique dans les années cinquante et soixante, connaît tous les honneurs (professeur à l’Institut des hautes études scientifiques, lauréat de la médaille Fields en 1966, professeur associé pour un an au Collège de France, lauréat du prix Crafoord en 1988) mais en refuse la plupart pour des raisons militantes (il refuse d’aller recevoir la médaille Fields en URSS, démissionne de l’IHES pour protester contre son financement partiel par le ministère de la Défense, refuse le prix Crafoord). Ce même militantisme le conduit à fonder avec Claude Chevalley et Pierre Samuel le groupe écologiste et antimilitariste radical Survivre et vivre en 1970. Il obtient un poste à l’université de Montpellier en 1973 où il reste jusqu’à sa retraite en 1988. Il passe la fin de sa vie retiré dans un village des Pyrénées, écrivant des dizaines de milliers de pages de mathématiques qu’il ne souhaite pas voir publier.
« Il ne cherche pas à décrire le monde, il cherche à décrire l’harmonie du monde. » (Pierre Cartier)
Récoltes et Semailles n'est même pas cité. Peut-être que le livre égratigne un peu trop la communauté mathématique. Jean-Pierre est bien intervenu pour combler l'absence, mais sans grande consistance sur le personnage.
Alors à ce jour, pour le décès de Grothendieck, je pense que oui Edith, il faut faire de votre témoignage un article et non un commentaire:
GROTHENDIECK et le multiplicateur
Quand Grothendieck décida, en 1988, de refuser le prix Crafoord et donc aussi la somme rondelette associée à cette distinction (environ 500 000 dollars)
j'ai ressenti la nécessité de lui envoyer un petit mot explicatif sur le multiplicateur de dépense (ou de recette) enseigné par les économistes
car je venais de me reconvertir aux maths appliquées à l'économie après une thèse et une publication aux C.R.A.S. en maths pures.
De quoi s'agit-il ?
Voici: appelons d la propension moyenne à dépenser, dans un pays donné:
vous encaissez une recette de 100, vous dépensez en moyenne 100 d et économisez 100(1-d) ; en France, à l'époque du moins, d valait 0.9
Mais la dépense de l'un est une recette de l'autre, de sorte que par le jeu successif dépense/recette étalé dans le temps
la recette globale finale est le produit de la recette initiale R par l'inverse de (1-d), le fameux multiplicateur m , somme d'une série géométrique de raison d
(donc à l'époque m= 10, en France)
Démonstration explicite dans le dictionnaire de science économique d 'Alain COTTA.
Conclusion: si Grothendieck avait accepté son prix , il aurait en réalité contribué à injecter globalement, au bout d'un certain temps,
près de 5 millions de dollars dans l'économie française
ou plutôt la moitié car il devait partager ce prix avec Pierre DELIGNE.
Le génie des maths qui était aussi sensible aux problèmes sociaux, en raison de sa propre trajectoire douloureuse,
pourquoi avait-il privé lui-même, sa famille nombreuse et ses compatriotes d'un tel pactole ?
Grothendieck m'a fait l'honneur de me répondre, il semblait émoustillé par ma petite démonstration !
Aurait-il pris une décision contraire s'il avait connu l'existence de ce multiplicateur ?
Personne ne le saura jamais.
Merci pour sa colossale contribution aux maths et paix à son âme !
Edith Kosmanek