En à peine quelques jours de temps, un peu par hasard, j’ai eu l’occasion de voirplusieurs documentaires français récents prenant le pouls de la société, dans plusieurs domaines que ce soient.
Après Steak (R)évolution, qui tentait de réhabiliter le travail des professionnels de l’agro alimentaire un peu décrié dernièrement, Pole emploi ne quittez pas, qui sort en salles mercredi prochain, tente d’aller sonder du coté d’une institution particulièrement mise à mal également par l’opinion publique, à savoir Pole Emploi.
En 2013, en France, alors qu’un actif sur six est sans emploi et le taux de chômage n’a jamais été aussi élevé depuis quinze ans, l’organisme chargé d’indemniser les chômeurs et de les accompagner à la recherche d’un poste a vu son fonctionnement et son organisation particulièrement remis en question.
On saura gré à Nora Philippe de proposer avec ce documentaire une plongée inédite dans le travail d'une administration que le cinéma documentaire avait peu visité jusqu’à présent, contrairement à d’autres institutions telles que les écoles, les hôpitaux ou les tribunaux.
En posant sa caméra (avec une équipe très légère composés de 3 personnes, elle comprise) dans une l'antenne de Pôle emploi de Livry-Gargan, une commune plutôt tranquille de Seine-Saint-Denis, Nora Philippe choisit d’écarter le sensationnalisme cher aux documentaires dont la télévision est si friande (et moi, beaucoup moins).
Ici, pas (ou peu) de clash, de cris d’usagers floutés qu’on voit frauder ou faire un scandale, mais une plongée subtile et sensible dans le quotidien d’une institution qui dysfonctionne, à travers le travail de ses agents.
On voit dans le documentaire de Nora Philippe à quel point les conseillers de Pôle emploi subissent de plein fouet l’absurdité du système coincés entre les exigences, souvent totalement contradictoires et incompatibles des demandeurs d’emploi et de leur hiérarchie. L’obligation de résultat que celle-ci leur demande ne prend hélas que très rarement en compte le parcours individuel de l’usager, l’important étant avant tout de faire du chiffre. Très proche du quotidien des conseillers, le film offre plusieurs séquences (comme celle de la lecture des lettres de radiation) fortes et qui ne sont jamais sacrifiées sous l’autel du reportage spectacle.
Le film de Nora Philippe ne nous cache rien du malaise que ressentent les agents de l’institution, confrontés à diverses absurdités du système et de cette fameuse bureaucratie chère au sociologue Michel Crozier, à savoir « une organisation qui n’arrive pas à se corriger en fonction de ses erreurs ». "Pôle emploi ne quittez pas" montre parfaitement à quel point les tâches bureaucratiques à Pôle emploi sont chronophages pour les agentset que les premiers à en faire les frais sont évidemment les demandeurs d’emploi, mais donne la parole parfois aussi à la direction, afin d’éviter tout manichéisme et parti pris (ce qui n’a pas empêché la direction de Pôle emploi, se sentant trahi par la cinéaste de s’opposer à la diffusion du film).
Une réalité que j’avais touché du doigt les années pendant lesquelles j’ai travaillé dans ce domaine, mais que Nora Philippe parvient parfaitement à appréhender, tout en ayant le souci de la pédagogie (on notera la quasi absence de jargon incompréhensible pour le profane, alors que le corps social en est truffé).
Alors même si je peux comprendre qu’on n’ait pas forcément envie d’aller au cinéma voir une réalité qui nous angoisse et devant laquelle on se sente impuissant, il est important que ce cinéma là puisse exister et puisse faire réfléchir tous les acteurs concernés de près ou de loin (et ils sont nombreux) par ce dysfonctionnement et ses conséquences plus que néfastes sur la société française.
Bande annonce Pôle Emploi Ne quittez pas