Du 20 novembre 2014 au 17 janvier 2015
Vernissage le 20 novembre à partir de 18H30
Jürgen Nefzger Villa Florès
En 2008,l’effondrement du prêt bancaire en Espagne entraîne l’éclatement de la bulle immobilière.Dans les environs de Madrid, des dizaines de milliers d’appartements invendus et de terrains à bâtir forment aujourd’hui des villes nouvelles fantômes.Brutalement reléguées à l’état de ruines, ces villes interrogent un avenir sans perspectives.
Gilles Verneret, Anton Posset
Pendant qu’Hermann Hesse en 1925 voyageait en Souabe pour son journal de voyage, Hitler écrivait « mein kampf ».Ces deux utopies révélatrices de la dualité humaine, l’une généreuse et l’autre destructrice sont illustrées par ce voyage photographique d’aujourd’hui dans cette région de Baviére, berceau de la vieille culture allemande, du nazisme et du renouveau.
ouvert du mercredi au samedi de 14h00 à 19h00et sur rendez-vous pour les groupes .
Des déserts et mythologies immobilières.
Le prélèvement posé semble être à l’origine de toute l’oeuvre photographique de Jürgen Nefzger. “Prélèvement” car c’est comme si sa démarche consistait à extraire des petits bouts rectangulaires de Réel, ensuite transposés sur une surface sensible; “Posé” car l’impression qui s’en dégage est d’être “ben plantati” comme disent les italiens;, bien enracinés, comme le trépied dans la terre , qui supporte l’appareil grand format. Le tout à hauteur d’homme, dans une optique correspondant à la vision de l’oeil humain, celui que privilégiait Howard Hawks dans ses films, répondant à la maxime : ne rien faire qui dérange le regard de ce que l’opérateur observe attentivement, sur un plan la plupart du temps frontal et à distance moyenne.
Le photographe s’efface autant qu’il peut devant son champ d’image, laissant l’imprégnation opérer sur une vision tableau proche de l’approche picturale. L’ensemble relève d’une esthétique de la banalité des sujets circonscrits, qui nous ramène à ces images subliminales de l’inconscient collectif du paysage français, oubliées dans les recoins de la conscience, comme de ces zones suburbaines que traquent Jûrgen Nefzger, à l’opposé du parcours mythologique d’un Raymond Depardon avec ses anecdotes visuelles humanistes.
L’important semble donc de rester dans une posture de la banalité des choses, ouvert même à la laideur du bâti, et de la nature salie qui prennent ici une singularité visuelle, comme si on lui octroyait des lettres de noblesse transformées en beauté irréelle.
La démarche de Jürgen Nefzger nous fait irrésistiblement penser aux travaux de Walker Evans sur l’Amérique des années trente avec la farm security administration photography avec ce point de vue distancié , méthodique et non dénué d’élégance. Malgré ses origines germaniques Nefzger semble plus descendre de cette filiation anglosaxonne, que de de l’école Allemande de Dusseldorf. Au fil des images et des promenades dans l’hexagone, certains de ses clichés nous emportent peu à peu vers une poésie sous jacente, qui paradoxalement nous rapprochedu romantisme allemand du dix huitième siècle : un retour aux sources par le détour américain!.
Et en se passionnant pour l’urbanisme et l’aménagement des territoires, Jürgen Nefzger retrouve aussi ses racines familiales de son père architecte et le lien avec l’humain.
De cette approche documentraire qui décrit l’environnement de la façon plus plus neutre, il nous permet de d’entrevoir le vécu des habitants et de comprendre certaines réalités sociologiques..
Dans “Villa Flores” Jürgen Nefzger recentre encore son propos en choisissant l’option bi chromique, jusqu’à l’effacement de tout embellissement par les couleurs, dans un angle resserré jusqu’au dépouillement ultime, qui passe par l’orientation du regard vers le sol.
Là plantes oubliées et mauvaises herbes fleurissent en liberté sur les terrains délaissés des promoteurs espa gnols.
Il se penche ainsi sur cette végétation sauvage qui ne mérite jamais l’attention; de celles que l’on voit sans voir , qui sont ici mises en dialectique visuelle avec les grands paysages péri-urbains abandonnés, anciens objets des convoitises immobilières.
Ici l’on construisait les routes avant les habitations et les terrains de jeux avant l’arrivée des personnes, et le photographe, nous ouvre une porte sur cette vision désertique avec ces surfaces en friche, vides de bâti construit et entourée de nature sauvage dans les plaines arides de la Castille.
Là encore, le végétal prend sa revanche s’élevant entre les rainures des macadams éclatés où Jürgen Nefzger les croque avec rigueur, leur donnant le statut de colonnes d’albâtre ou de candelabres gothiques, dans la grande tradition de la photographie documentaire américaine derrière Evans, Adams, Freidlander ou Balz.
Gilles Verneret
Sur les traces du 3éme Reich
Premier volet du « Voyage de Nuremberg » à voir au Goethe-Institut à partir du 13 novembre.
Retour à Nuremberg
Je connaissais Hermann Hesse pour avoir lu dans ma jeunesse « Le loup des steppes » et « Siddharta », et ce n’est qu’au début des années deux mille, que je tombais par hasard sur « Le voyage à Nuremberg ». Je fus séduit par son ton résolument moderne et ses fines notations psychologiques relevant d’un bon sens, que j’associais à l’esprit allemand. Je décidais alors de retourner sur les traces de l’écrivain et m’en ouvris alors en 2002, au directeur du Goethe Institut de Lyon qui accepta le projet, mais ce dernier fut ensuite différé à cause de sa mutation. Ce n’est qu’en 2012, que je remis le plan à l’ouvrage. Ma rencontre avec l’historien Anton Posset précipita sans doute le désir de le mener à bien, soutenu par le nouveau directeur du Goethe Institut.
Mais à ce moment là, je pris conscience que Herman Hesse avait effectué ce voyage à l’automne 1925 et publié l’opuscule en 1927. N’était-ce pas la période où Adolf Hitler rédigeait « Mein kampf » à la prison de Landsberg? exactement entre 1924 et 1925, l’ouvrage devant sortir en librairie : le premier volume en 1925 et le second en 1926. N’était-ce pas symptomatique au vu de l’immédiat succès que connut l’ouvrage -plus d’un million et demi d’exemplaires vendus- au point d’assurer les revenus d’Hitler d’alors-, que Hermann Hesse n’en eut pas eu connaissance? Et si cela eut été le cas pourquoi n’y faisait-il absolument pas référence dans son journal, se retranchant dans une sagesse subjective, évoquant les mythes de la belle Lau, pour finir son voyage à Nuremberg, où Hitler organisait déjà ses grands rassemblements nazis avec les jeunesses du même nom…
J’attribuais cette coïncidence que je n’avais pas perçue au premier abord à l’influence de ce que Jung appelait l’inconscient collectif d’une nation, sorte d’archétypes invisibles travestis en phénomène de « synchronicité », qui animent l’imaginaire et font avancer l’histoire. Mais Hesse vivait déjà en exil en Suisse, pendant qu’Hitler préparait son avènement à la tête de l ‘Allemagne.
Anton Posset me fit remarquer que ces deux ouvrages avaient en commun le projet de constituer des soubassements et même dans le cas d’Hitler, de constructions méthodiques d’une utopie en marche. Utopie positive et créative avec Hesse, qui comme artiste, resterait confinée entre les pages des livres, faisant rêver légèrement quelques hippies américains du début des années soixante. Utopie négative et destructive de Hitler, qui entraînerait tout un peuple et le monde entier dans des évènements effroyables.
Le propre de l’utopie devrait toujours être de faire avancer les esprits dans le silence individuel sans ne jamais parvenir au pouvoir; sous peine de se dénaturer, car l’utopie au pouvoir politique a toujours été suivie de charniers et d’éradication de ce qui est différent : la haine de l’autre.
Le retour à Nuremberg était dès lors possible pour créer ce lien entre ces deux visions simultanées, qui ne s’étaient jamais
rencontrées, martelant que les lumières de l’intelligence cohabitent toujours avec les démons de l’instinct noir et destructeur…
En 2012 je fis le pèlerinage sur les traces de Hesse découvrant l’Allemagne éternelle avec sa vierge de pierre vieille de milliers d’années, réanimant le temps d’une photographie, ces mythes qui font encore vivre un imaginaire ancestral.
En 2014, je rejoignais Anton Posset à Landsberg pour revenir sur les lieux historiques berceau du troisième Reich et découvrir qu’Hitler fait encore bon ménage avec le tourisme capitaliste; mais aussi que Nuremberg ce temple originel du nazisme était passé entre temps au statut de symbole d’une justice internationale pour les criminels de guerre. La nécessité de ce second voyage me fut dictée par les élections européennes, qui amenèrent les partis d’extrêmes droites à la première place en France et en bonne position dans d’autres états, réanimant la bête toujours prête à renaitre avec son cortège de xénophobie, de meurtres et d’attentats antisémites, toujours cachée sous des fleurs, et de beaux discours lénifiants; avec la mission de réveiller cette idée simple qu’on ne change jamais l’ADN d’une idéologie extrémiste.
Gilles Verneret