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Pour toutes les aurores boréales du monde !

Publié le 15 novembre 2014 par Vivreenislande @vivreenislande

27 quartiers, 1500 dépliants publicitaires, 3000 quotidiens. Voilà la tâche qui m’attend ce samedi matin en me levant à l’aube, vers trois heures et demie. Nuit noire. On s’imagine, déjà trop tôt, l’été prochain en plein soleil. L’espace d’un instant. Fugitif. Mes vêtements refroidis d’une nuit de repos me rappellent à la réalité du mois de novembre. Mon véhicule glacé m’offre un fauteuil humide. Je le charge des journaux. Mes visites peuvent commencer.

aurores boréales
Chaque matin, depuis plusieurs mois la même question revient. Est-ce-que je ne devrais pas changer d’activité ? En islandais on m’appelle “hlaupari” “Le coureur”, et pour cause. Je distribue de Hafnarfjörður à Mosfellsbæ en passant par Garðabær et Álftanes, le quotidien Morgunblaðið chez ceux qui ne l’on pas reçu pour cause de maladie ou de fainéantise des distributeurs attitrés. Cette journée tourne à une galopade sans fin. De 4 heures à 14 heures puis recharge de la voiture pour la distribution du soir. Reprise de la course jusque tard dans les ténèbres. Au pas de course. Escaladant plusieurs marches d’escaliers. Me faufilant entre les voitures garées. Traversant jardins privés. Manquant de justesse de tomber. Poussant chaque quotidien par chaque fente de boite aux lettres. Jouissant lorsque plusieurs boites d’affilée acceptent le journal. Pestant lorsque celles-ci, mesquines, rechignent à le prendre. Il n’y a pas de temps pour se reposer, souffler, voir l’avenir. On avale un sandwich mal façonné. On boit une eau fadasse. On a les mains encrées des écrits imprimés. Les doigts deviennent secs, poussiéreux, rugueux. On sue de nature, de plastique, de gasoil. On s’écœure à voir et à revoir la même photo de première page. La même nouvelle revenir sans cesse. On pourrait haïr ce foutu quotidien qui me nourrit. On commence même a haïr ces foutus clients qui le lisent. Et puis… D’un coup, sans raison je m’arrête. On m’arrête.

Une voix intérieure me dit : regarde…

Je lève les yeux sur un ciel scintillant de millions d’étoiles, même si je me trouve en plein milieu urbain sur un parking d’immeubles. Mon sac de journaux me donne de l’épaule. Au dessus de ma tête dans une farandole incontrôlée une danse illuminée zèbre le ciel noir. Norðurljós. Des aurores boréales de toutes beautés m’offrent un spectacle hallucinant. Jaunes, blanches, vertes, pourpres. La sarabande ne cesse de se mouvoir, de changer de forme, de couleur et de densité à une vitesse vertigineuse. Je tourne et tourne sur moi-même le cou tendu vers l’univers pour ne pas manquer une miette du phénomène. Ne sachant plus ou porter mon regard sur l’activité statique que le soleil et la terre me proposent, je tombe à même le bitume. Mes jambes me remercient. L’apparition d’aurores boréales ne m’était pas inconnue. Bien que magnifiques, elles étaient néanmoins toujours esseulées, longilignes, infimes… Là, j’assistais a un feu d’artifices en pleine ville ! Oubliée la fatigue, le travail, l’envie d’un bon repas. Je voulais crier comme Pagani : “Sortez de vos prisons de cent étages” et venez voir au dehors. Je restais là, figé à terre pendant de longues minutes. Les aurores boréales avaient pris possession de mon être. J’étais hypnotisé. Mes yeux buvaient les couleurs. Ma peau s’électrisait. Mon système sanguin fusait au rythme des allées et venues de cette danse céleste. J’étais si proche et si lointain… Ça n’en finissait pas. J’allais attraper un torticolis. Ou bien une pneumonie. Il fallait se rendre à la raison. Poursuivre et finir ce que j’avais commencé à l’aube.

Avec regrets je quittais mon état cosmique. Le travail terminé je rebroussais chemin la tête explosant de jouissance vers ma tanière où m’attendait la solitude d’un foyer douillet. Au coucher, le plafond de ma chambre s’illumina des visions survenues auparavant à l’extérieur. Ce soir en moins d’une poignée de secondes, toute la fatigue d’une journée de 20 heures de labeur discontinu s’était évaporée. Quelle récompense impensable ! Merci là-haut, merci de m’avoir donné le privilège d’être aux premières loges d’ébats si talentueux.

© Illustration en Une : Jean Posocco

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