Avec Jean-Christophe Lagarde, l’UDI choisit l’ambition conquérante

Publié le 14 novembre 2014 par Sylvainrakotoarison

L’événement semble boudé par les médias. L’élection du successeur de Jean-Louis Borloo à la tête de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) donne la place à une nouvelle génération et ouvre une nouvelle page de l’histoire de la politique française.

Avec quinze jours d’avance sur l’UMP, l’UDI termine son processus de désignation de son nouveau président à la suite de la démission de Jean-Louis Borloo le 6 avril 2014. Les résultats officiels du vote par correspondance, sous contrôle d’huissiers de justice, ont été publiés ce jeudi 13 novembre 2014 en début de soirée.

Des résultats sans ambiguïté

Le député-maire de Drancy Jean-Christophe Lagarde (47 ans) a été élu avec 10 040 voix (53,5%) face à l’ancien Ministre de la Défense Hervé Morin (53 ans). L’avance de 728 voix du premier tour a presque doublé avec un écart de 1 310 voix, ce qui est loin d’être négligeable. Les deux tiers (65,9%) des 28 755 adhérents inscrits ont participé au vote, ce qui est supérieur à celle du premier tour (58,7%). La mobilisation a donc été très satisfaisante pour une campagne très peu médiatisée.

Et fait notable, seulement 0,9% des votants ont refusé de choisir entre les deux candidats (par un vote blanc ou nul). Jean-Christophe Lagarde avait reçu le soutien du Parti radical, de Laurent Hénart (maire de Nancy et président du Parti radical) ainsi que d’Yves Jégo et de Chantal Jouanno, candidats au premier tour, tandis qu’Hervé Morin avait eu l’appui du député-maire de Neuilly-sur-Seine, Jean-Christophe Fromantin, candidat au premier tour.

Les réactions

Pour Hervé Morin, la défaite est très amère et sans la contester, il l’a relativisée en ne faisant pas preuve d’une très grande "sportivité" : « Compte tenu du faible écart de voix et du contexte si particulier que certains ont relevé, je laisse à chacun le soin de tirer les conclusions qu’il entend de ce scrutin. Pour ma part, je prends acte du résultat, même si les manœuvres décrites par la presse ont altéré la sincérité du processus électoral et je remercie toutes celles et tous ceux qui m’ont fait confiance. ». Il n’y aura donc probablement aucune contestation judiciaire, mais la question demeure sur sa présence au congrès du 15 novembre 2014 à la Mutualité, une présence qui serait un signal fort d’unité des centristes.


L’heureux élu, Jean-Christophe Lagarde, quant à lui, a souhaité refermer la page de la transition et se remettre vite au travail : « Ce soir, je mesure l’honneur qui m’est fait et le défi qui est devant nous tous. À mon concurrent Hervé Morin, arrivé second, j’adresse un salut fraternel et je tends la main. ».

Un rassemblement que souhaite aussi de ses vœux l’autre successeur de Jean-Louis Borloo, Laurent Hénart, à la tête du Parti radical : « Pour tous ceux qui ont participé à l’élection, candidats comme militants, les intérêts de la maison commune UDI doivent aujourd’hui prévaloir. ».

Le choix d’un Centre conquérant

En préférant Jean-Christophe Lagarde à Hervé Morin, l’UDI a choisi clairement sa volonté de tourner la page et de préparer l’avenir avec une équipe renouvelée et rajeunie, mais aussi bien plus ambitieuse. L’objectif de Jean-Christophe Lagarde est placé très haut puisque c’est finalement la conquête de l’Élysée par un centriste. Jean-Christophe Lagarde, encore assez peu connu par le grand public (il n’a pas bénéficié de l’exposition médiatique qu’offre un portefeuille ministériel), aura encore beaucoup à prouver pour réussir son pari.


Élu à la tête de l’UDI pour trois ans, il sera celui qui devra adopter la stratégie la meilleure pour l’élection présidentielle de 2017. Nul doute qu’entre le désir de l’autonomie vivement proclamée et la nécessité de préserver les chances pour l’avenir, la question d’une candidature centriste crédible se posera dans un contexte où Marine Le Pen serait portée probablement au second tour.

La première action de Jean-Christophe Lagarde sera de renforcer l’efficacité de l’organisation interne de l’UDI, dans le but d’en faire une machine électorale aussi redoutable que le PS ou l’UMP. Et la seconde sera de préciser le projet politique que le Centre portera sur le plan national dans deux ans.

Perspectives historiques

Ce duel Jean-Christophe Lagarde vs Hervé Morin de 2014 restera dans les annales de l’histoire du Centre en France. Il déterminera pour une grande part l’avenir pour les prochaines décennies de ce Centre si recherché et si peu représenté au plus haut niveau de l’État.


Un duel qui a divisé le parti centriste grosso modo en deux parties à peu près égales. C’est l’occasion de rappeler deux autres duels qui ont également façonné de manière décisive l’avenir des centristes dans leur histoire : en juin 1982 à Versailles et en décembre 1994 à Vincennes.

Le Congrès de Versailles en mai 1982

Premier congrès après la défaite de Valéry Giscard d’Estaing à l’élection présidentielle du 10 mai 1981, le Centre des démocrates sociaux (CDS) devait se doter d’un nouveau président lors de son congrès qui avait lieu du 29 au 31 mai 1982 à Versailles. Le président sortant, Jean Lecanuet, à la tête du CDS depuis sa fondation six ans auparavant, avait en effet décidé de laisser la place à une nouvelle génération.

Le candidat le plus apprécié des militants et aussi des jeunes était Bernard Stasi, qui fut président délégué, réel dirigeant du CDS alors que Jean Lecanuet présidait également l’UDF. La désignation du nouveau président est excellemment bien racontée par Hervé Torchet sur son blog.

Face au favori Bernard Stasi (51 ans), quatre autres candidats s’étaient présentés, en particulier Jacques Barrot (45 ans), ancien Ministre de la Santé, qui était secrétaire général sortant, et aussi Pierre Méhaignerie (43 ans), ancien Ministre de l’Agriculture. Les enjeux portaient essentiellement sur le positionnement du CDS dans l’optique de la prochaine élection présidentielle (prévue en 1988) : Bernard Stasi était le plus proche de Raymond Barre tandis que Pierre Méhaignerie était réputé comme plus proche de Valéry Giscard d’Estaing.

Bernard Stasi se trouva en tête du premier tour (environ 35% des mandats), mais grâce au soutien de Jacques Barrot à son concurrent du second tour, ce fut Pierre Méhaignerie qui fut élu (et qui fut réélu jusqu’en 1994). Pierre Méhaignerie opta cependant pour un soutien sans faille à la candidature de Raymond Barre et se plaça dans une position de parti du centre droit au sein d’une alliance UDF/RPR acquise d’avance, alors que Bernard Stasi aurait rendu le CDS sans doute plus autonome et plus indépendant.

Pierre Méhaignerie, négociateur très redoutable pour les investitures aux législatives face au RPR, n’avait cependant pas le charisme nécessaire ni l’ambition suffisante pour mener le CDS au plus haut niveau. Pire, il était capable de maladresses qui en disaient long sur son manque d’ambition. Lors d’une université d’été à Ramatuelle en août 1989, intervenant dans l’assistance à l’occasion d’une table ronde, il avait même commencé une phrase en disant : « Si j’étais Premier Ministre… » alors que sous la Ve République, le réflexe aurait plutôt été de dire « Si j’étais Président de la République… ».

Le congrès de Vincennes en décembre 1994

Douze ans plus tard, Pierre Méhaignerie se décida enfin à libérer la place.

Il en était déjà question au congrès d’Angoulême du 11 au 13 octobre 1991, où la jeune génération (les trois B : Baudis, Bayrou, Bosson) piaffait d’impatience (c’était l’époque des Rénovateurs). L’affrontement était presque inévitable entre Pierre Méhaignerie et Dominique Baudis, très populaire député-maire de Toulouse. Et finalement, au dernier moment, un compromis fut trouvé, Pierre Méhaignerie restait en sursis pendant trois ans, Dominique Baudis devenait président exécutif et Bernard Bosson remplaçait Jacques Barrot comme secrétaire général. En refusant de "tuer le père", Dominique Baudis (44 ans) avait raté la seule occasion de s’investir au plus haut niveau de la vie politique française.

Le bilan de Pierre Méhaignerie, c’est qu’il n’y avait aucun candidat issu du Centre susceptible d’être un candidat crédible à l’élection présidentielle de 1995. Les centristes n’allaient être que les arbitres passifs de la rivalité entre Édouard Balladur et Jacques Chirac.

Au début de 1994, la succession de Pierre Méhaignerie semblait sans surprise : Bernard Bosson, seul candidat, devait reprendre les rênes, très apprécié des fédérations départementales qu’il connaissait très bien depuis trois ans. L’élection aurait dû se jouer au congrès de Rouen du 22 au 24 avril 1994. Finalement, il a été décidé que ce congrès ne s’occupât que des élections européennes du 12 juin 1994, dernier scrutin avant l’élection présidentielle de 1995, et la désignation du successeur de Pierre Méhaignerie fut reportée en décembre.

Ces six mois supplémentaires furent mis à profit par François Bayrou (43 ans), soutenu par Pierre Méhaignerie et René Monory (alors Président du Sénat) pour contrer la candidature de Bernard Bosson (46 ans), ministre réputé très balladurien alors que François Bayrou, également ministre, était réputé plus chiraquien (mais l’UDF et aussi le CDS avaient clairement choisi Édouard Balladur). Durant l’automne 1994, le CDS fut véritablement coupé en deux entre partisans de Bernard Bosson et partisans de François Bayrou.

Lors du congrès de Vincennes des 10 et 11 décembre 1994, François Bayrou a gagné son pari en remportant la présidence du CDS avec 665 mandats contre 490 pour Bernard Bosson pourtant favori. Comme dans les autres partis, la désignation se faisait par des mandats tenus par des délégués désignés dans chaque fédération et non par l’ensemble des militants, ce qui est, aujourd’hui, une pratique universelle dans quasiment tous les partis.

Quelques heures après la victoire interne de François Bayrou, Jacques Delors, alors Président de la Commission Européenne, annonça qu’il renonçait à se présenter à l’élection présidentielle de 1995, dont la candidature aurait été majoritairement soutenue par les centristes.

Il était trop tard pour 1995, mais François Bayrou a pu mener le Centre dans les trois élections présidentielles suivantes dont une aurait pu s’avérer gagnante, le 22 avril 2007, rassemblant presque 7 millions de suffrages avec 18,6% des voix au premier tour, le plus haut score national pour un centriste, à l’exception de Valéry Giscard d’Estaing.

En décembre 1994, ce fut bien le conquérant, et non l’héritier, qui fut choisi, avec cette rage de l’ambition et de la conviction qui a pu bousculer les lignes, envers et contre tout. Qui pouvait imaginer que celui qui n’était crédité que de 3% des voixdans les sondages en 2001 pouvait atteindre presque les 20% six ans plus tard ?

2014 pour 2017 voire 2022 ?

L’histoire dira si l’aventure présidentielle de François Bayrou s’est arrêtée le 22 avril 2012. Ce qui est sûr, c’est que le clivage Lagarde/Morin de 2014 est à replacer dans cette perspective historique du clivage Stasi/Méhaignerie en 1982 et du clivage Bayrou/Bosson en 1994.

Ce 13 novembre 2014, assurément, c’est le candidat conquérant qui a gagné, par son ambition et ses convictions, celui qui est parti dans une terre de mission communiste sans aucun atout initial et qui, à force de convaincre les électeurs un par un, a pu faire d’un territoire politiquement hostile un fief fidèle qui le réélit fidèlement depuis une quinzaine d’années.


2017 sera peut-être encore un peu tôt, mais l’avenir reste ouvert pour les centristes en plaçant ainsi la barre très haut. Mais avant, dès le samedi 15 novembre 2014 au congrès à la Mutualité de Paris, Jean-Christophe Lagarde devra tout faire pour préserver l’unité de l’UDI malgré les rancoeurs et les déceptions suscitées par cette campagne interne.

Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (14 novembre 2014)
http://www.rakotoarison.eu

Pour aller plus loin :
Résultats du second tour de l'élection du président de l'UDI (13 novembre 2014).
Quel projet politique pour l'UDI ?
L'UDI en piste pour la rénovation (18 octobre 2014).
Le plus d'Europe de Valéry Giscard d'Estaing (10 octobre 2014).
Résultats du premier tour de l'élection du président de l'UDI (16 octobre 2014).
L'après-Borloo (1).
L'après-Borloo (2).
Jean-Louis Borloo.
François Bayrou.
L’alliance UDI-MoDem.
La création de l’UDI.
La famille centriste.
Les listes centristes aux européennes de 2014.
Résultats des européennes de 2014.
Jean-Christophe Lagarde.
Hervé Morin.
Le Nouveau centre.
Laurent Hénart.
Rama Yade.
Radicaux de gauche.
Candidature de Jean-Christophe Lagarde.Candidature d’Hervé Morin.


http://www.agoravox.fr/actualites/politique/article/avec-jean-christophe-lagarde-l-udi-159419