[Carte blanche] Hommage à Guy Levis Mano, par Christian Désagulier

Par Florence Trocmé

Guy Levis Mano
Images de l’homme immobile, Folle Avoine : 
 
Recroquevillé 
la main lourdement plaquée sur sa hanche 
mon camarade a murmuré : ça y est 
Le silence était lisse - comme la prairie était verte - 
qui hacha le sifflement des obus. 
C'est très simple - et c'est cela la mort. 
Je pars les bras ballants 
c'est difficile - c'est difficile terrible et banal. 
Un camarade est mort 
qui me souriait - racontait et chahutait... 
Et c'est arrivé 
et je ne suis pas certain que ce soit arrivé 
et que mille morts soient plus tragiques qu'un mort. 
 
Guy Lévis Mano, GLM pour les amoureux des livres de poèmes, l’adolescent émigré de Salonique apprend à poésir aux livres des Quais de Paris, option typographie pour composer les siens à son idée et se fait éditeur pour vivre – chichement à compte d’auteurs, sur lesquels il aura raison de compter. 
Car il compose les poèmes pour les poètes avec la même invention de la page que pour soi, les premiers d’inconnus à ceux de notoriété près de s’établir infailliblement : Antonin Artaud, Breton, Char qui fut le plus nombreux (1), Eluard, Jabès, Jouve, Michaux, Follain, Schéhadé, Tzara, Picabia… 
Une liste allongée de poèmes de proches étrangers, Lorca, Alberti par lui traduits, Novalis, Hölderlin, Blok, Mandelstam, Maïakovski, des bouts de Bible aussi. 
553 plaquettes & revues de poèmes édités de 1923 à 1975 dont 19 imprimées sur 23 signés GLM : un catalogue prestigieux de plaquettes mélanines. (2) 
Il y a beau temps que les premiers poèmes d’amours d’Ephèbes sont oubliés. Retour d’un stalag de Poméranie, désormais n’est plus que réveil nocturne, seul aux draps de papier, aux bouts des doigts glacés de plomb à tâter la nuit. Tatouages involontaires de ces révoltes aux fleurs carnivores nourries des mouches de ceux qui sont tombés au fond de la poche du monde, de mouches à vers « éclatantes » dont la métamorphose est de celle qui expulse le poème. 
 
[Christian Désagulier] 
 
 
1 Pas moins de 24 plaquettes illustrées de Miro, Picasso, Valentine Hugo, Giacometti, depuis Moulin Premier (1936) à En trente-trois morceaux (1970), René Char qui reverse son admiration au typographe dans Recherche de la Base et du Sommet. 
2 Voir Présence et postérité de Guy Levis Mano, Arts et Métiers du livre, n° 156, été 1989, le beau texte de Jean-Hugues Malineau, poète, typographe et éditeur de la seconde génération (éd. Commune Mesure). On n’oubliera pas de citer le nom d’Iliazd de géorgienne origine, quasi contemporain de GLM qui futurise en Russie de 1917 à 1920. C’est à Paris qu’il typographiera des chefs-livres illustrés des mêmes pour les mêmes, beaucoup par Picasso et Chagall, Matisse aussi ainsi qu’une Boîte en valise de Duchamp. Aujourd’hui vient le nom d’Eric Pesty, éditeur et typographe à son tour, dont Les Agrafés peuvent être vus et lus comme une manière d’hommage rendu aux Cahiers GLM mais peut-être surtout à 41° (Journal d’un Poème, Roger Giroux.)