d'après DIVORCE de Maupassant
Maître Morand,
Le célèbre avocat parisien
Qui, depuis dix ans,
Plaide et obtient
Les séparations entre époux mal assortis,
Ouvrit la porte de son cabinet
Et s’effaça pour laisser passer
Un nouveau client, M. Blazy.
C’était un homme à favoris blonds et drus,
Un homme ventru,
Sanguin et vigoureux. Il salua.
-« Prenez un siège » invita l’avocat.
Le client s’assit et dit, après avoir toussé :
-« Je viens vous demander
De plaider mon divorce, maître.
Sachez que je suis clerc de notaire
Et si mon mariage fut peu banal,
Il fut aussi bien malheureux,
Très malheureux. »
-« Votre cas n’est pas unique. » -« Je sais.
Mais j’ai des griefs particuliers
Contre ma femme qui se disait fille de général.
Vous devez savoir aussi que pendant un temps
J’ai été amené à lire dans le journal
Les annonces matrimoniales
Pour le compte d’un client.
Un jour, je suis tombé sur celle-ci :
’’ Demoiselle bien élevée, jolie,
Épouserait homme honnête.
Apporterait deux millions de francs bien nets.’’
Or, le soir-même, je dînais chez des amis
Et parlais de la demoiselle aux deux millions.
L’un des convives me dit :
‘’Pourquoi ne vois-tu pas ça pour toi, cristi ?
Ça t’enlèverait des soucis…Deux millions ! ’’
Nous éclatâmes de rire. Mais je pensais :
Ces deux millions, si je les avais !
Jusqu’ici,
Je n’avais pas songé à me marier.
Pendant deux jours, cette idée me hanta,
M’obséda, me tortura.
Tous les petits ennuis dont je souffrais
M’amenaient à repenser
À l’annonce de cette demoiselle.
Certes, il n’était pas très naturel
Qu’une jeune fille
De bonne famille,
Richement dotée ainsi,
Cherchât par voie de presse son mari.
Pourtant, par précaution, je lui écrivis
Au nom de mon client et j’attendis.
Cinq jours plus tard, je triais des papiers
D’affaires classées,
Quand on m’annonça : ’’ Mlle de Naintré ’’
’’ Faites entrer ’’
Apparut une femme d’une trentaine d’années,
Un peu forte, brune, l’air embarrassé.
Elle s’assit et me déclara : ’’ Je suis
La personne à qui vous avez écrit.’’
’’ Pour un mariage ? ’’ ’’ Oui.’’ ’’ Parfait.
Vous avez de la famille ? ’’ Elle a hésité,
Puis baissa les yeux et a balbutié :
’’ Mon père…et ma mère…sont décédés.’’
’’ Avez-vous réellement la fortune annoncée ? ’’
’’ Oui, oui.’’ Je la regardais
Et vraiment elle me plaisait
Bien qu’un peu mûre,
Plus mûre
Que je ne l’avais imaginée.
C’était une belle personne,
Une forte personne.
Et l’idée me vint de lui jouer
Une petite comédie de sentiment
Et de supplanter…
Mon imaginaire client :
’’ Vous ne verrez mon client
Que dans trois jours car il a du partir hier
Pour l’Angleterre…
Un voyage urgent.’’ ’’ Oh ! C’est embêtant.’’
’’ Êtes-vous pressée de rentrer chez vous ?’’
’’ Pas du tout.’’
’’ Eh bien ! Restez ici.
Vous êtes descendu à l’hôtel ? ’’
’’ Oui, aux Deux Perdrix.’’
’’ Voulez-vous, mademoiselle,
Me permettre de vous inviter…
À dîner ? ’’
Elle hésita
Puis se décida :
’’ Oui, merci. ’’ ’’ Je vous prendrai à sept heures.’’
’’ Très bien. Alors à ce soir, sept heures.’’
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À sept heures et demie,
Nous voilà au restaurant.
Après l’apéritif, nous étions devenus amis.
’’ Je suis la fille d’une servante, m’avoua-t-elle,
Séduite par un gentilhomme.
Je suis riche à présent.
J’ai hérité de grosses sommes.’’
Elle en parlait, sûre d’elle.
Au dessert, je devins galant,
Avec réserve cependant
Mais je lui montrai que j’avais du goût pour elle.
Je la questionnais …sur les titres de sa dot.
Elle me répondit aussitôt :
’’ Je peux vous les montrer, si vous voulez.’’
’’ Ici, à Rouen ? ’’
’’ Oui, à Rouen.’’
’’ Les titres sont à votre hôtel ? ’’ ’’Mais oui.’’
’’ Je pourrais les voir …’’ ’’ Mais oui.’’
Cela me convenait à la perfection..
Je payai l’addition
Et nous nous rendîmes à son hôtel,
Elle m’a montré ses titres. Je les tenais,
Je les palpais, je les examinais.
Cela me fit une joie telle
Que je fus pris du désir de l’embrasser
Et je l’embrassai…
Une fois, deux fois,
Dix fois…
Si bien que, …aussitôt,…
Je succombais…ou plutôt…
Non…c’est elle qui succomba.
Ah ! Maître, j’en fis une tête après cela…
Et elle, elle pleurait :
’’ Ne me trahis pas
Ne rapporte pas notre aventure à ton client
Ne me perds pas.’’
Je promis
Et la quittai
Avec, en tête, un étrange état d’esprit.
Que faire ? Je n’allais
Tout de même pas la lâcher,…
La dot, la belle dot,
La bonne dot !
Je passai une mauvaise nuit,
Mais au matin, ma raison s’éclaircit.
Je m’habillai et me présentai
À l’hôtel où elle logeait.
En me voyant, elle rougit.
Je lui dis :
’’ Moi, pauvre petit clerc,
Je viens réparer mon audace d’hier :
J’ai l’honneur de demander votre main.’’
’’ Je vous la donne.’’ Je l’ai épousée
En mars 1880.
Tout alla bien pendant une année.
Je n’avais rien à lui reprocher.
Pourtant, parfois, je remarquai
Qu’elle faisait
De longues sorties :
Une semaine, c’était le mardi ;
L’autre semaine, le vendredi.
J’ai cru qu’elle me trompait. Un mardi,
Elle sortit,
Je l’ai suivi.
Elle est entrée
Dans la gare et courut sur le quai.
Aucun doute, son amant allait arriver
Par le train de deux heures dix.
Je me cachai
Et attendis.
Elle s’élança,
Puis saisit dans ses bras
…Une petite fille d’environ trois ans,
Accompagnée par une paysanne
Vêtue comme une gitane
Tandis qu’on s’embrassait vivement,
Une autre servante,
Portait un bébé (garçon ou fille ?)
Ma femme le saisit en une étreinte violente.
Puis ce petit monde est parti,
Ma femme, les bonnes et les deux mioches,
Direction la promenade Hoche.
Je rentrai effaré, n’osant pas deviner..
Ma femme revint pour dîner,
Je lui ai demandé : ’’ Quels sont ces enfants ? ’’
’’ Quels enfants ? ’’
’’ Ceux que vous attendiez
Au train de Louviers.’’
Elle poussa un grand cri
Et s’évanouit.
Quand elle revint à elle, elle me confessa
Tout en pleurant :
’’ J’ai quatre enfants ;
Je vois mes deux filles les mardis
Et mes deux garçons, les vendredis.
L’origine de sa fortune était donc bien là :
Avec les rentes versées par les quatre pères,
Elle s’était constituée un énorme magot.
-« Maître, que me conseillez-vous de faire ? »
L’avocat me répondit aussitôt :
-« Ces enfants, vous n’avez qu’à les reconnaitre. »
-« Merci de votre conseil, Maître. »