Sukkwan Island de David Vann

Par Emeralda @emeralda26000

Le livre : 
Sukkwan Island de David Vann aux éditions Folio, 231 pages, 6 € 80.
Pourquoi cette lecture : 
"Sukkwan Island" est encore un livre que j'avais découvert en visionnant "La grande librairie", un jeudi soir sur France 5 (il y a quelques années déjà, 2010), mais j'ai vraiment eu envie de le lire après une réunion de lecteurs à la médiathèque de Chamonix Mont-Blanc ayant pour thème les auteurs du Montana. Il est certain que l'on a un peu élargie cette définition, mais c'était le point de départ en tout cas. On ne le dira jamais assez, mais les échanges avec les autres lecteurs (en réel ou de manière virtuelle grâce à la Toile), c'est fantastique et cela déclenche en vous toujours de nouvelles envies de découvertes. En tous cas, chez moi, cela fonctionne à 200% ! 
David Vann était un inconnu pour moi avant ce titre. Ecrivain américain, né en 1966 en Alaska, c'est assez naturellement que "Sukkwan Island" trouve son intrigue située sur une île sauvage du Sud de l'Alaska. On écrit toujours mieux sur ce que l'on connait bien et les thèmes que l'on maîtrise. Les exceptions se comptent sur les doigts d'une main ou alors, c'est au prix d'énormément de travail en amont de la phase d'écriture. Bien qu'il ait déjà écrit et été publié avant "Sukkwan Island", c'est cet ouvrage qui va sans doute le faire le plus connaître car il a été couronné en novembre 2010 par le prix Médicis étranger. La médiatisation qui va suivre lui sera très favorable, plus efficace encore que le bouche à oreille.
Le pitch : 
Rien que la quatrième de couverture devrait vous mettre l'eau à la bouche, même si vous n'êtes pas des fervents lecteurs des ouvrages édités en général par la maison d'édition Gallmeister (spécialisée dans le Nature Writing et maison d'édition au départ de ce titre) : 
Une île sauvage du Sud de l'Alaska, accessible uniquement par bateau ou par hydravion, tout en forêts humides et montagnes escarpées.C'est dans ce décor que Jim décide d'emmener son fils de treize ans pour y vivre dans une cabane isolée, une année durant. Après une succession d'échecs personnels, il voit là l'occasion de prendre un nouveau départ et de renouer avec ce garçon qu'il connaît si mal. La rigueur de cette vie et les défaillances du père ne tardent pas à transformer ce séjour en cauchemar, et la situation devient vite incontrôlable.Jusqu'au drame violent et imprévisible qui scellera leur destin. Sukkwan Island est une histoire au suspense insoutenable. Avec ce roman qui nous entraîne au coeur des ténèbres de l'âme humaine, David Vann s'installe d'emblée parmi les jeunes auteurs américains de tout premier plan.
Ce que j'en pense : 
Je savais que beaucoup de cette histoire était autobiographique. Je l'ai su en écoutant David Vann en parler sur le plateau de François Busnel pour "La grande librairie" (vive les vidéos du web), mais aussi en lisant un article publié sur "Sukkwan Island" dans le monde (archives). Jugez plutôt : "Dans le roman, le fils s'appelle Roy et le père Jim, diminutif de James. Comme dans la dédicace : "A mon père, James Edwin Vann, 1940-1980". James Vann, père de David donc, aimait les femmes, la pêche et la chasse. Quand son fils est né, il était dentiste sur une base américaine au milieu de nulle part, une île du nom d'Adak à l'extrême ouest de l'Alaska. La famille s'installe ensuite à Ketchikan, une petite ville de l'autre côté de l'Etat américain, près de la frontière canadienne. Mais James Vann est un homme infidèle. Les parents se séparent, le père reste dans ces froides contrées tandis que la mère, David et sa soeur s'installent en Californie.L'enfant aussi aime la pêche et la chasse. Il rejoint son père tous les étés, attrape des saumons plus grands que lui. Un jour, alors qu'il a 13 ans, son père lui propose de venir passer une année en Alaska. Il refuse. Quinze jours plus tard, il est à la plage avec sa mère et sa soeur lorsque la famille reçoit un coup de fil : son père s'est tué d'une balle de pistolet.Pendant quinze ans, David Vann sera insomniaque. La honte et la culpabilité le rongent. Son entourage ne lui est pas d'un grand secours psychologique : sa mère lui a offert les fusils de chasse de son père ! Il n'a pas vu la dépouille de son père, raconte autour de lui qu'il est décédé d'un cancer. "Je me sentais sale", dit-il avec le recul.David Vann avait 19 ans lorsqu'il a entrepris le récit de ce traumatisme." (Sources : Le Monde des livres, article publié le 25/06/2010 et mis à jour le 08/11/2010)Pour en apprendre un peu plus sur l'auteur, je vous conseille sur site : http://www.davidvann.com/
Ce livre est donc celui qui fut une souffrance pour son auteur. Il mit des années à l'écrire, à le réécrire. Il l'a recommencé moult fois car jamais il ne lui convenait. Et puis un jour, il a su trouvé les mots. Cela ne s'explique pas. Le livre s'est offert à lui et David Vann nous propose de partager un peu de sa vie, de son expérience à travers ce récit romancé.Cela nous est plus facile à nous qu'à lui, au début en tout cas. 
Le style est fluide, on se laisse porté par les paysages, la prose légère de l'auteur qui contraste avec l'ambiance, les relations qui lient Roy à son père. Les 112 premières pages sont assez linéaires et c'est cette mythique page 113 qui fait tout basculer. Tout le monde ou presque en a parlé. C'est là le tournant du roman car auparavant, la situation est tendue nerveusement, mais comme cela peut l'être aussi entre un père qui connait relativement peu son fils, qui lui, rentre en plein dans l'adolescence.Je puis bien l'avouer maintenant, le retournement de situation ne m'a pas véritablement surprise. Est-ce parce que justement j'ai trop entendu dire que c'était horrible, que c'était à couper le souffle ? C'est bien possible. Reste que c'est un moment clef pour le récit. On passe à autre chose ensuite. 
Il parait que la seconde partie se lit d'un trait et pourtant là encore je me suis démarquée car j'ai coupé ma lecture en deux soirées. Cependant, oui, je confirme qu'il faut avoir parfois le coeur bien accroché. On n'est plus dans "Oui-Oui Land" ! C'est d'ailleurs cette seconde partie qui pourrait attirer des lecteurs qui ne se seraient point intéressés à ce titre. Je pense par exemple aux amateurs de sensations fortes, aux forcenés qui enchainent les lectures de thriller. ils devraient y trouver leur compte.On est bousculé, parfois mis à mal, un peu comme le personnage qui va occupé presque l'intégralité de la seconde partie du roman. On s'en sortira bien mieux que lui, mais quand même, on ne peut pas rester de marbre. Le style est alors cru, efficace et David Vann sait fait mal avec quelques mots seulement, mais aussi captiver notre attention jusqu'à l'ultime ligne de "Sukkwan Island".
Un détail pourra vous surprendre. Les dialogues ne sont absolument pas signalés par la ponctuation et les échanges entre les protagonistes sont insérés dans la corps du texte.  Je vous rassure, on s'y fait très vite et fort bien. 
Un ouvrage que je déconseille aux personnes sensibles, fortement dépressives. C'est fort, brutal et peut déstabiliser. Ce n'est donc pas un livre à glisser entre toutes les mains, mais à lire, à découvrir tout de même pour tous les autres. 
Et s'il fallait mettre une note : 17 / 20