Obamacare ou le mépris du peuple

Publié le 14 novembre 2014 par H16

Aujourd’hui, c’est avec une actualité américaine que je voudrais étayer ce petit billet, parce qu’après tout, il n’y a pas de raison de croire que seuls les Français se vautrent dans le socialisme détendu du mensonge : c’est malheureusement très répandu de par le monde.

Et pour donner un peu de contexte, évoquons en quelques lignes la récente réforme de l’assurance maladie aux États-Unis, propulsée par un Obama très volontariste, et qui se sera notamment soldée par la création d’un site web dont les contre-performances sont si épiques que toute la réforme s’est transformée en mème sur internet. Entre les difficultés (pour ne pas dire l’impossibilité) à se connecter et enregistrer ses demandes et les milliers de cas ubuesques où des personnes sans ressources se retrouvent bannies d’un système auquel elles avaient précédemment le droit, et ce, en parfaite opposition avec les buts affichés de la réforme, Obamacare est rapidement passée d’une nécessité pour une partie de l’aile gauche américaine à un échec cuisant pour une majorité d’Américains, toutes couleurs politiques confondues. Le mot « désastre » a même été employé pour qualifier l’ensemble de la réforme, depuis la loi, parfaitement illisible et étalée sur des centaines de pages (des dizaines de milliers si on inclut les régulations attenantes) jusqu’à ce fameux site web, bourré de bugs.

L’affaire a donc, assez logiquement, défrayé la chronique pendant de longs mois Outre-Atlantique. Dernièrement, elle rebondit cependant avec les déclarations pour le moins éclairantes de Jonathan Gruber. Comme l’explique en détail le magazine Reason, Gruber, professeur au MIT, est considéré par la plupart des observateurs informés comme l’une des personnes-clé derrière la construction d’Obamacare, la loi en question (« Patient Protection & Affordable Care Act »). Gruber a notamment aidé a rédiger la loi d’assurance santé en vigueur au Massachusetts, et qui a servi de modèle à la loi fédérale ; il a assisté la Maison Blanche lors de l’établissement des fondations de cette nouvelle loi, et, d’après le New-York Times, fut finalement envoyé au Capitole pour aider les membres du Congrès à en rédiger les premiers brouillons. Dans le même temps, il s’est occupé de fournir aux médias le matériel nécessaire à la propagande enthousiaste sur ce projet, et fut payé près de 400.000 dollars pour son travail de consultant.

Autrement dit, Jonathan Gruber a une excellente idée de ce qu’il a fallu déployer comme énergie et comme tactiques pour que cette loi passe. Et cela rend d’autant plus crédible, lorsqu’on écoute la vidéo suivante, ses affirmations selon lesquelles il était absolument nécessaire d’être le plus opaque possible à propos des coûts et effets réels de cette loi, et d’utiliser avantageusement « la stupidité des électeurs américains » pour qu’elle passe.

Pour plus de facilité, je vous traduis la partie croustillante de l’intervention :

« This bill was written in a tortured way to make sure CBO did not score the mandate as taxes. If CBO [Congressional Budget Office] scored the mandate as taxes, the bill dies. Okay, so it’s written to do that. In terms of risk rated subsidies, if you had a law which said that healthy people are going to pay in – you made explicit healthy people pay in and sick people get money, it would not have passed… Lack of transparency is a huge political advantage. And basically, call it the stupidity of the American voter or whatever, but basically that was really really critical for the thing to pass….Look, I wish Mark was right that we could make it all transparent, but I’d rather have this law than not. »
« Cette loi a été écrite de façon amphigourique pour être certain que le Bureau du Budget au Congrès (CBO) ne l’évaluerait pas comme une nouvelle taxe. Si tel était le cas, la loi ne serait pas passée. On l’a donc écrite ainsi. En ce qui concerne les paiements en fonction des risques, si vous aviez une loi qui expliquait clairement que les gens en bonne santé allaient payer pour ceux qui sont malades, alors la loi ne serait pas passée non plus… L’absence de transparence a d’énorme avantages politiques. Et simplement, appelez-ça la stupidité des électeurs américains ou peu importe, ceci était vraiment indispensable pour que ce truc passe… Vous savez, j’aurais bien aimé que Mark ait raison et qu’on puisse jouer la transparence, mais je préfère avoir cette loi plutôt qu’elle ne passe pas. »

Évidemment, les déclarations de Gruber valident d’un coup toutes les critiques qui ont été émises sur cette loi depuis des années et sur les tactiques employées pour la faire passer.

D’une part, c’est la confirmation que la loi fut construite, dès le départ, pour camoufler sa nature au Congrès, qui l’aurait recalée. En substance, les Démocrates l’ont écrite pour entourlouper sciemment le congrès (ici, on ne pourra prendre par comparaison ce qui se passe en France où, comme l’a amplement montré la loi ALUR, nos amis socialistes sont si mauvais qu’ils arrivent à se tirer une balle dans le pied même lorsque le Sénat est aussi de leur côté).

D’autre part, c’est aussi la confirmation que les auteurs de la loi savaient pertinemment qu’elle ferait payer les gens sains pour les malades, bien qu’ils se soient toujours refusés à l’admettre de peur que cela détruise toute chance au projet d’aboutir. En d’autres mots, les aficionados de la loi croyaient que le public n’aimerait pas certaines de ses conséquences et ont donc tout fait pour les lui camoufler.

Enfin et de façon plus importante encore, c’est aussi clairement la confirmation que Gruber pense tout à fait légitime de pipeauter le peuple pour imposer ses propres agendas politiques. Ce n’est pas vraiment surprenant si l’on se rappelle qu’il se sera bien gardé de mentionner qu’il émargeait aussi au budget de l’administration Obama tout en fournissant aux médias une évaluation prétendument neutre de la loi.

Mais c’est en tout cas particulièrement éclairant sur la façon dont Gruber tente à présent de faire oublier ses déclarations contradictoires sur la façon dont les subventions fédérales sont distribuées aux États américains, mécanisme subordonné à la participation directe de ces états dans le système fédéral d’assurance maladie, au détriment des assurances privées, et qui est maintenant au cœur d’une dispute légale en passe de se régler à la Cour Suprême. Ses dénégations et explications confuses sont d’autant plus difficiles à croire maintenant qu’il a ouvertement admis trouver tout à fait normal de mentir au peuple pour imposer ses opinions politiques.

Peut-être pense-t-il que les électeurs américains sont stupides ; mais question stupidité, c’est bien lui qui a joué à l’idiot en lâchant ça devant une caméra…

Maintenant, lorsqu’on voit ce qui se passe aux États-Unis et qu’on le rapproche de ce qui se passe en France, on ne peut qu’être frappé par la similarité des comportements et des mécanismes qui se mettent en place. La candeur de Gruber dans ses déclarations, montrant ainsi tout le mépris qu’il peut avoir pour les électeurs lambda de son pays, n’est pas sans rappeler ce même mépris qu’on trouve régulièrement de ce côté-ci de l’Atlantique, lorsque par exemple le parlement se fiche ouvertement de l’avis souverain pour passer ses petites lubies en loi. De ce point de vue, l’étonnement (et l’agacement logique) de nos amis américains lorsqu’ils se rendent compte que leurs élites les mènent en bateau rafraichira tout Français qui aura entendu feu George Frêche expliquer clairement à quel point le politicien doit, pour réussir en politique, prendre l’électeur pour un con.

Des gens intelligents, il y en a 5 à 6 %, il y en a 3 % avec moi et 3 % contre, je change rien du tout. Donc je fais campagne auprès des cons et là je ramasse des voix en masse. (…) Les cons sont majoritaires, et moi j’ai toujours été élu par une majorité de cons et ça continue parce que je sais comment les « engraner ».

Et indépendamment de ces traits de lucidité de Frêche, le fait de mentir pour un dirigeant politique (ou, comme ici, d’un consultant qui travaille pour eux) n’a rien d’illogique si l’on se rappelle que ces personnes ne travaillent en rien pour notre bien, mais bien pour le leur. Conséquemment, celui qui en politique parie sur la stupidité gagnera bien plus facilement que tout autre, quitte a proposer des solutions collectivistes parfaitement idiotes, inopérantes et qui se terminent, à l’instar de l’Obamacare, en véritable désastre.

Enfin, une note à mes éventuels lecteurs américains francophiles : vous savez, l’Obamacare, nous savons exactement ce que ça vaut. Nous sommes votre futur, et il n’est vraiment pas rose.

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