"C'était l'heure du thé, mais le thé, vert ou noir, qu'il soit au gingembre ou à la menthe, m'indispose. Je préfère le Coca-Cola light. La sensation gazéifiée de cette boisson m'étonnera toujours. [...] Je n'ai pas réussi à croiser son regard ni à attirer son attention. Souvent, à ma vue, les gens s'exclament et s'émeuvent, Ooooh!!! et ils rigolent. Ils se mettent à faire les singes en disant Un singe!! Ils deviennent idiots. Lui, non.[...] Lui, dans la pâleur de la lumière qui passait à travers la vitre contre laquelle il s'était appuyé, laissait voir enfin son visage. Il m'a fixé. Il m'a souri. Je lui ai tendu la main. Sans jouer, sans fanfaronner, sans même s'extasier, il a tendu la sienne. Il a posé sa paume sur ma paume. Pas un instant il n'a eu envers moi un geste familier. S'il avait été seul, il m'aurait parlé comme on parle à ceux qui ont des oreilles. Mais gardant le silence, il m'a laissé le contempler et m'a dévoilé la détresse de son âme dans la défaillance de ses yeux faïencés. Je l'ai aimé à partir de là."
(extrait de "Anima" de Wajdi MOUAWAD, dont la lecture m'a laissée secouée, sans voix; peinture d' Enoki TOSHIYUKI)