Deux ans après avoir terminé sa trilogie Batman (comprenant deux films moyens et un chef d’œuvre du genre au milieu), Christopher Nolan retrouve avec Interstellar la veine d’Inception, soit le blockbuster auteuriste. C’est également la première fois qu’il s’aventure dans l’espace, propulsant Matthew McConaughey et quelques autres dans un trou noir à la recherche d’une solution à un problème crucial: l’extinction de l’humanité. Si on regarde bien, il y a aussi Topher Grace quelque part là-dedans. Beau programme.
Le cinéma de Christopher Nolan se heurte souvent à des obstacles qu’il s’impose de lui-même. C’est le cas dans Interstellar qui, de la même manière qu’Inception, est pris entre deux ambitions difficiles à concilier. D’une part, la volonté de proposer un voyage épique dans un univers qui résiste à la maîtrise de l’Homme (le rêve, l’espace). D’autre part, soumettre ce même univers à une logique implacable permettant au spectateur de ne pas trop se perdre dedans (ici, gravité et relativité du temps). La mise en place de cette machine explicative présente plusieurs inconvénients: il est assez désagréable de regarder un film où les personnages passent le plus clair de leur temps à nous raconter ce qu’il se passe sous nos yeux, comme il est plutôt embarrassant de ne pas tout comprendre. Ca devient même consternant quand on se rend compte que certaines choses cruciales restent pourtant inexpliquées.
L’ensemble du film, mastodonte de 2h49, est assez dispersé. Le premier acte prend tout le temps de s’attarder sur des scènes de vie peu intéressantes (la réunion parents-profs) tout en passant sous silence quelques questions importantes (la façon dont le héros est recruté à bord de la mission spatiale est assez drôle). Une fois lancée dans l’espace, l’action s’éparpille au grès des explications scientifiques de rigueur, tandis que des enjeux de très faible importance sont multipliés, notamment tout ce qui concerne la planète de glace. On reprochera aussi à Nolan une tendance facile à créer des situations dramatiques sur le pouce, à la faveur d’un de ses fameux montages parallèles. Comme si la mise en danger du personnage principal ne suffisait pas à tenir le spectateur en haleine, le réalisateur invente en une minute et trente secondes un conflit tragique entre deux autres personnages qui étaient jusqu’à présent sous-traités, afin de pouvoir sauter d’une situation à l’autre avec forces violons. Ce n’est pas le seul exemple de facilité scénaristique dans un film qui multiplie les monologues ampoulés alors même que ses personnages secondaires peinent à exister.
Si sa longueur effarante et ses nombreuses scories empêchent Interstellar de se mesurer à 2001 l’odyssée de l’espace (première référence qui vient à l’esprit et auquel il emprunte beaucoup), il n’en reste pas moins un divertissement efficace. Il n’y a ici rien de révolutionnaire, que ce soit dans la représentation d’univers nouveaux ou dans la réflexion sur le temps, mais Nolan maîtrise tout de même son sujet. L’espace n’est pas le lieu du spectaculaire et bénéficie d’un traitement sobre, loin de toute esbroufe visuelle. La caméra reste amarrée aux vaisseaux et aux personnages, cadrant toujours au plus près de l’action plutôt que d’ouvrir sur un panorama qui serait trop large et abstrait. Même si parfois la lisibilité de certaines séquences mouvementées en pâtit, on ne s’éloigne jamais trop du coeur des évènements.
C’est peut-être dans la proximité qu’il entretient avec son sujet et ses deux protagonistes que le film trouve sa véritable force. Bien que paré des atours embarassants communs à nombre de blockbusters contemporains (musique élégiaque et assourdissante en tête), Interstellar avance avec une sincérité désarmante. Plutôt que de s’égarer sur des pistes interprétatives grandiloquantes (tout ce qui peut faire penser à Contact de Robert Zemeckis), Nolan choisit contre toute attente l’humain. C’est la relation père-fille au centre du film, qui apparait d’abord comme un gimmick tire-larmes, qui contient en réalité tous les enjeux du récit: rédemption du père absent, lutte contre le temps qui passe et même la solution à la survie de la race humaine. La résolution des différents problèmes advient dans la toute première image, de même que celle-ci renferme l’ambition du film: le titre vient se superposer à une chambre d’enfant balayée par la poussière, conciliant ainsi littéralement le macro et le microscopique.
Au détour d’un léger twist, moins retors et manipulateur que dans ses autres films, Nolan met en images le temps comme une matière pluri-dimensionnelle, offrant ainsi une représentation inédite, à la hauteur de ses ambitions démesurées. À la lumière de ces quelques belles idées, mieux vaut alors oublier la conclusion du film, où les personnages et leurs émotions sont jetés par la fenêtre.