Telle est l'expression employée par Manuel Valls pour réclamer que le PS se rallie aux changements constitutionnels engagés par Sarkozy.
J'ai d'abord trouvé cette expression stupide, et puis j'ai fini par la trouver révélatrice. Peut-être même plus que son auteur ne l'imagine.
Stupide, car la Constitution a été modifiée 23 fois depuis 1958. La "chance historique" vantée par Valls se présente donc assez
souvent. Cette expression peut être vue comme une tentative grandiloquente de cacher, derrière un verbiage pompeux, une envie irrésisitible de se faire bien voir de Sarkozy et d'un électorat
censément devenu conservateur.
La maison commune est cependant un terme qui ne sort pas de nulle part, il est fortement connoté. Ce n'est pas pour rien que Valls n'a pas simplement dit qu'il ne fallait pas laisser passer une
chance historique de réformer la "loi fondamentale", ou le "texte constitutionnel" ou "nos institutions".
Maison commune c'est l'expression employée par Gorbatchev, dans le cadre de la "nouvelle pensée" (1986). Comme l'indique l'Institut François Mitterrand dans une note : « la « Nouvelle Pensée » définit une nouvelle approche des relations internationales qui met en avant l’interdépendance
des problèmes auxquels est confrontée la planète, la nécessité d’opter pour une « vision désidéologisée » des relations internationales et la volonté d’en finir avec le principe de la
lutte des classes».
Dans ce cadre, l'expression Maison Commune européenne renvoyait à une Europe intégrant la Russie, dans un espace de coopération découplé des Etats-Unis.
Valls n'en garde que la nation de société désidéologisée, appliquée à la France. On voit mal en quoi Sarkozy tente de sortir l'Europe de l'orbite américaine.
On peut ensuite se demander d'où vient la "chance historique" ? La Constitution est changée régulièrement, pourquoi se précipiter ?
Pour moi, Valls s'appuie sur le sentiment qui s'impose aujourd'hui, de façon diffuse, d'une fin des institutions républicaines. Jour après jour, nous sommes dépossédés de ce qu'était la république,
au profit des institutions bruxelloises. Nous sommes parvenus à un point où une mesure sectorielle de faible ampleur, au bénéfice des pêcheurs, doit être approuvée par le bureau F4 de la Commission européenne.
Dans ce cadre, on peut effectivement penser que nous vivons le temps des dernières modifications constitutionnelles : les pouvoirs résiduels de la France sont tels que plus personne ne perdra du
temps à modifier un texte sans portée. Il a finalement raison : nous vivons les derniers moments d'une constitution comme texte fondamental de notre vie politique.
Voilà l'intérêt de Manuel Valls aujourd'hui : sans même s'en rendre compte, sans doute, il ouvre la voie, dans une superbe formule, à tout ce qui perd la gauche d'aujourd'hui. Ralliement au marché,
soumission irraisonnée à l'Europe, tout y est.
Plus qu'à prendre l'autre direction.