« Que reste t-il de nos amours ?
Que reste t-il de ces beaux jours ?
Une photo, vieille photo de ma jeunesse… ».
De ces vers de Charles Trenet, gardons, non pas une photo, mais des photos (pas vieilles mais anciennes pour certaines, récentes pour d’autres).
Évoquons l’amour des mots puisque Victor Hugo, puisque théâtre, puisque comédiens et comédiennes.
Et parlons des beaux jours où l’art photographique et l’art théâtral se laissèrent aller à flirter.
De cette idylle il nous reste aujourd’hui de magnifiques clichés disséminés dans différents musées et dans des collections privées mais réunis pour notre plus grand bonheur et pour l’exposition « Regards Croisés » qui se tient jusqu’au 1er mars à la maison de Victor Hugo.
Lieu d’accueil qui ne doit rien au hasard puisque c’est l’œuvre théâtrale du grand homme, à travers les mises en scène de quatre de ses pièces, Ruy Blas, Marie Tudor, Angelo, tyran de Padoue, et Les Burgraves, qui est au première loge pour illustrer chronologiquement l’évolution de la photographie de théâtre.
Etienne Carjat Portrait de Victor Hugo en 1873, Maison de Victor Hugo © Etienne Carjat / Maisons de Victor Hugo / Roger-Viollet
En effet, entre 1872 et 2009, divers photographes, et non des moindres, Etienne Carjat, Nadar, Agnès Varda, Claude Bricage, Christophe Raynaud de Lage, plus quelques anonymes, accompagnèrent et immortalisèrent les créations hugolienne de metteurs en scène aussi prestigieux que Lucien Guitry et Paul Meurice, Jean Vilar, Antoine Vitez ou Christophe Honoré.
Dès la première salle le ton est donné avec les portraits de Victor Hugo himself, mais aussi de Frédérick Lemaître et de la légendaire Sarah Bernhardt.
Bien sûr ces clichés non pas ornés, sous la forme de posters, les murs des chambres d’adolescents de la fin du 19ème siècle.
Mais il est néanmoins intéressant de constater que dès sa naissance, vers les années 1850, le huitième art s’est tout de suite fait une place dans celui du théâtre en flattant l’ego des « stars » de l’époque.
« Stars » à qui il faut reconnaître cette lucidité d’utilisation quasi publicitaire (surtout chez Sarah Bernhardt qui alla jusqu’à mettre son image sur ses cartes de visite) de la photographie.
Mais c’est à partir de la seconde salle que commence véritablement l’exposition.
Chaque pièce de théâtre nous est rendue sous deux créations différentes et nous pouvons constater les différences entre, par exemple, Les Burgraves de 1902 et Les Burgraves de 1977 en tournant simplement la tête.
Les Burgraves, 1902 Anonyme, Mme Segond-Weber (Guanhumara) et Albert-Lambert (Otbert) Comédie-Française, Mise en scène de Lucien Guitry et Paul Meurice, Maison de Victor Hugo @Maisons de Victor Hugo/ Roger-Viollet & Les Burgraves, 1977 François Clavier (Job) Théâtre de Gennevilliers Mise en scène d’Antoine Vitez, © Claude Bricage
D’une manière générale, il est rassurant de constater que, des reconstitutions de scènes en studio d’Etienne Carjat à la prise de clichés instantanés pendant les représentations en passant par le style dépouillé de Bricage jusqu’au travail presque de « paparazzi » de Raynaud de Lage qui attend de capturer un moment précis plutôt qu’un autre, ou, que des mises en scène au milieu de décors impressionnants et majestueux du début du 20ème siècle à l’épuration maximale de ce qu’il considère comme superflu par Vitez pour en arriver au travail presque cinématographique d’Honoré, seuls les artistes ont véritablement fait l’évolution de la photographie théâtrale.
Loin de moi l’idée de nier par exemple les progrès techniques sur les appareils photo, ou les aménagements des salles de théâtre, mais c’est surtout qu’à chaque époque, et l’exposition nous rend merveilleusement bien cet état de fait, un metteur en scène à rencontrer un photographe (et vice et versa) sous l’œil du maître, c'est-à-dire autour d’une vision de l’œuvre intemporelle de Victor Hugo.
Et chacun des deux créateurs, par son style, a permis l’expression de deux arts qui n’en sont devenus qu’un.
Je terminerai en mettant l’accent sur le travail photographique effectué par Agnès Varda sur les mises en scène de Ruy Blas et Marie Tudor de Jean Vilar en 1954 et 1955.
Car j’ai été complètement subjugué par le fait qu’elle ait réussie à créer une mise en scène à l’intérieur même de la mise en scène de Jean Vilar.
Je n’oublie pas qu’Agnès Varda est devenue réalisatrice par la suite, mais c’est absolument remarquable et fantastique !
Je dirai même qu’elle a peut être inventé la photo promotionnelle de spectacle car il suffit de regarder ses clichés de Gérard Philippe et de Maria Casarès (entre autres) pour se dire : « Mais c’est où ça ? C’est quand ? Mais je vais y aller, moi ! ».
Marie Tudor, 1955 Maria Casarès (Marie Tudor) et Roger Mollien (Fabiano Fabiani) Représentation au Festival d’Avignon Mise en scène de Jean Vilar © agnès varda
À noter qu’au second étage de la maison de Victor Hugo, en plus de la visite de ses appartements, vous pouvez admirer, dans le même temps que « Regards croisés », l’exposition « Habiller l’exil » du photographe Klavdij Sluban qui nous présente des photographies de la propriété d’Hauteville House en 2013, que le poète habita de 1856 à 1870, à Guernesey, durant une partie de son exil.
Regards croisés. Théâtre et photographique
Hugo, Nadar, Vilar, Varda, Vitez, Honoré
Maison Victor Hugo. 6 Place des Vosges, Paris 4ème.
Du 6 Novembre au 1er Mars 2015.
Tarifs: 7 euros / réduit: 5 euros
Du mardi au dimanche de 10h à 18h.