On se retrouve aujourd'hui pour un concentré de Stefan Zweig, ce qui n'est pas pour me déplaire ! J'ai eu l'occasion récemment de lire un petit recueil qui regroupe 6 de ses nouvelles, et j'ai été incroyablement surprise de voir à quel point ce recueil était complet, bien construit et permettait vraiment de saisir le talent de cet auteur.
Bref, j'ai pris ma dose de Zweig (avant la prochaine), je vous laisse maintenant découvrir de quoi parlent ces six nouvelles, et j'espère surtout que cet article vous donnera envie de dévorer ce livre !Une demeurée de village cache dans les bois son grand fils, pour lui éviter d'aller à la guerre. Un jeune étudiant, humilié par l'inégalité sociale, ne découvrira qu'au moment de mourir la place qu'il pouvait avoir dans la communauté humaine. Un comédien oublié retrouve celle qui s'est jadis offerte à lui, et qu'il n'a pas voulu déshonorer... Dans ces nouvelles longtemps inédites en français, on retrouve les grandes préoccupations humanistes de l'auteur d'Amok et d'Un mariage à Lyon : sa compassion envers le malheur humain, son horreur de la guerre, sa foi dans les valeurs - l'idéal, la générosité, l'amour - qui peuvent, en quelques instants, illuminer une existence entière. Chacune crée en quelques pages une situation dramatique qui nous empoigne, des personnages qu'il est difficile d'oublier.
La nouvelle Wondrak raconte l’histoire d’une femme, Ruzena Sedlak, au physique très disgracieux (tellement disgracieux qu’il lui a valu le surnom de « tête de mort ») qui donne naissance à un fils. Alors qu’elle était plutôt indifférente au monde qui l’entourait, son instinct maternel se réveille finalement de manière explosive. Elle enveloppe son fils d’un amour exclusif, lui est entièrement dédiée et ne peut supporter l’idée d’être loin de lui ni qu’on puisse le lui enlever. Elle craint par conséquent les démarches administratives (comme la déclaration de la naissance ou le baptême…) qui permettent de recenser son fils, et qui l’attachent à des obligations sociales au lieu de l’attacher seulement à elle.Le jour où la guerre est déclarée en Autriche et que son fils est mobilisé pour partir en guerre, elle est donc prête à tout pour le garder près de lui…Le petit détail surprenant de cette nouvelle, c’est qu’elle porte le nom d’un personnage très secondaire de l’histoire. En effet, dans ce récit Wondrak est le secrétaire de mairie. Il n’apparaît que deux ou trois fois dans le récit et de manière très brève, et même carrément anecdotique ! Et pourtant, le fait que la nouvelle soit appelée en son nom nous invite à nous interroger sur l’importance qu’a vraiment eue cet homme dans la vie de La Sedlak et de son fils…
La scarlatine est la nouvelle la plus longue de ce récit et une de celles que j’ai préférées. Dans ce récit, Zweig nous raconte l’histoire d’un jeune homme qui prend tout juste son indépendance. L’histoire commence alors qu’il arrive à Vienne pour y commencer ses études supérieures de médecine. Nourri de plein d’ambitions et d’illusions, il espère se créer rapidement un cercle d’ami et rompre sa solitude.Le premier individu qu’il rencontre est son voisin. Agé de quelques années de plus que lui, Bertold l’admire et le considère presque comme celui qui le « sauve » de la solitude. Une amitié assez étrange va se nouer entre ces deux jeunes hommes, faite de manipulation, de mépris et d’indifférence. Les deux étudiants ne sont pas sur la même longueur d’onde, et Bertold souffrira beaucoup de ne pas trouver le soutien qu’il aurait souhaité auprès de Schramek, un garçon plutôt rustre, insensible et brutal.Un événement inattendu et inespéré viendra finalement bouleverser le cours des choses et redonnera du baume au cœur de Bertold ! Mais là encore, nous ne sommes pas au bout de nos surprises : Stefan Zweig réserve au lecteur un retournement final qui est certes prévisible, mais qui n’en est pas moins jouissif.
Ensuite, quelques Fragments d’une nouvelle viennent s’intercaler entre deux histoires. Au début, j’ai bêtement cru que ces fragments de nouvelle étaient les ébauches d’une nouvelle jamais publiée, ou même que c’était vraiment le nom de la nouvelle. Mais en la lisant, je me suis vite aperçue qu’il s’agissait en fait d’un extrait de Le Voyage dans le passé ! Marrant, puisque c’est justement une des dernières œuvres de Zweig que j’avais lue !Bref, j’ai bien aimé tomber par hasard sur un passage de cette nouvelle, mais si vous voulez en savoir plus, je vous laisse aller lire ma chronique ici.
La nouvelle La Dette a la particularité d’être écrite sous la forme d’une lettre. Dans cette histoire, une femme d’environ 40 ans écrit une lettre à une de ses anciennes et plus proches amies pour lui raconter une rencontre qu’elle a faite et qui lui a rappelé de vieux souvenirs… Le schéma de narration utilisé par Stefan Zweig dans cette nouvelle est très intéressant, assez académique et montre bien à quel point l’histoire est importante dans un livre. En effet, Zweig développe et met particulièrement bien en valeur les différentes étapes de la narration : la situation initiale décrite par Margaret dans sa lettre est riche en détails et en justifications. L’héroïne explique bien dans quel contexte s’inscrit l’histoire, dans quel état elle était et comment elle est arrivée à rencontrer cet homme. Vient enfin le moment de la rencontre avec cet homme particulier : c’est l’élément perturbateur. La façon dont elle décrit l’arrivée de cet homme dans l’auberge nous fait comprendre immédiatement qu’il y a un couac :
« J’étais restée ainsi un bon moment, rêvant, l’esprit libre, lorsque – il devait être environ neuf heures – la porte fut poussée à nouveau, mais cette fois-ci ce ne fut pas avec lenteur et lourdeur, à la manière des autres paysans. Elle s’ouvrit largement et l’homme qui entrait, au lieu de la refermer aussitôt, demeura un instant planté sr le seuil, comme s’il n’était pas encore tout à fait décidé à le franchir. Alors seulement il la laissa se rabattre, us bruyamment que les autres, regarda de tous côtés et lança, d’une voix profonde et sonore : « Bien le bonsoir à vous, messieurs. » Mon attention fut immédiatement attirée par cette salutation quelque peu artificielle qui n’avait rien de rustique. » p.148-149Les péripéties s’enchaînent ensuite jusqu’à la résolution finale du conflit avec une fluidité magistrale et une intensité graduelle. Cette nouvelle montre vraiment à quel point Stefan Zweig sait raconter des histoires et captiver son lecteur. Il utilise d’ailleurs dans ce récit un procédé qu’on retrouve régulièrement chez lui : la mise en abyme. En effet, les histoires qu’il raconte sont souvent des « récits dans le récit » puisqu’il utilise régulièrement un des personnages qu’il crée comme narrateur, de telle sorte que les récits sont imbriqués les uns dans les autres. Il utilise ainsi ce procédé dans La Dette, ainsi que dans Le Joueur d’échecs ou la Lettre d’une inconnue.
La nouvelle Un homme qu’on n’oublie pas nous raconte l’histoire d’Anton, un personnage plutôt atypique. Ici, pas de schéma narratif classique puisque l’auteur se focalise uniquement sur un individu particulier.Anton s’oppose aux codes et aux conventions de la société dans laquelle il vit, et refuse particulièrement de monnayer ses échanges avec ses interlocuteurs. Il ne paye pas de loyer, ne paye pas son repas, … bref, il ne paye rien du tout. Concrètement, voilà comment il vit : au hasard de ses rencontres, il rend service aux gens qu’il croise même s’il ne les connait pas, de telle sorte que s’il a un jour besoin de quoique ce soit (manger, un nouveau manteau, changer sa roue de vélo, etc.), quelqu’un sera toujours là pour lui rendre son service en retour de celui qu’Anton lui a déjà rendu un jour.Le portrait que nous peint Stefan Zweig ici est celui d’un homme optimiste, confiant en l’homme et incroyablement honnête. Un homme tellement bon en somme qu’il en paraît utopiste. Stefan Zweig a d’ailleurs sous-titré cette nouvelle « histoire vécue », comme s’il savait que ses lecteurs allaient prendre cette nouvelle pour de la fiction sans cette précision. Ou alors, est-ce une petite touche d’humour, une note d’ironie pour faire rire le lecteur qui pense, à la fin de l’histoire « elle est bien bonne, celle-là ».Je ne sais pas s’il faut vraiment faire confiance à Stefan Zweig et s’il a déjà rencontré cet homme, en revanche je sais que cette nouvelle m’a fait une drôle d’impression à la lecture : derrière l’optimisme et l’espoir de cet Anton se cache en fait beaucoup de pessimisme et d’amertume… J’y ai vraiment ressenti la méfiance que pouvait ressentir Stefan Zweig pour les hommes car en remettant en question la possibilité de l’existence de cet homme, l’auteur met vraiment en évidence à quel point il nous est difficile de faire confiance et de croire en la gentillesse gratuite des gens qui nous entourent…
Rêve oublié est une nouvelle très courte dans laquelle une femme est une nouvelle fois mise à l’honneur. Dans ce récit, un homme et une femme sont amenés à se revoir après avoir passé de nombreuses années loin l’un de l’autre et après avoir fait leur vie chacun de leur côté. Inévitablement, ils sont amenés à parler des choix qu’ils ont chacun fait pour leur vie : a-t-elle bien fait de choisir l’argent plutôt que l’amour ? C’est la question principale soulevée dans ce récit.Si les paroles et les explications des personnages s’enchaînent avec une fluidité incroyable tout au long du récit, les toutes dernières lignes de la nouvelle viennent cependant tout chambouler et bouleversent les opinions des personnages et du lecteur. Dans cette nouvelle, Stefan Zweig nous démontre à quel point il maîtrise l’art de la nouvelle et de la chute, plus particulièrement. Une leçon.
Printemps au Prater est certainement la nouvelle qui m’a le moins marquée. Ce n’est pas que je ne l’ai pas aimé, mais j’ai eu plus de mal dans celle-ci à voir où Stefan Zweig voulait nous emmener.L’histoire commence alors qu’une jeune femme désespère de ne pas avoir sa robe à temps pour pouvoir aller au Prater pour le Derby. Cette jeune femme n’est pas nommée tout de suite et son identité nous est donnée plus tard, cela nous donne ainsi l’impression que Stefan Zweig parle de manière générale : le champ des possibles est alors grand ouvert.Mais petit à petit, l’étau se resserre et on finit par comprendre où l’auteur veut en venir. En une journée, la vie de cette jeune fille aura été (faussement ?) bouleversée ; ses idéaux, ses souhaits et ses valeurs auront été chamboulées de telle sorte qu’elle remettra presque sa vie en question.Avec beaucoup de subtilité et de finesse, Stefan Zweig nous raconte une histoire complexe et inattendue, et nous suggère sa fin sans nous l’imposer.
Encore un recueil de nouvelles de Stefan Zweig que j’ai adoré, je ne me lasse vraiment pas de son style ni des histoires qu’il nous raconte ! Certes, ce recueil ne regroupe pas les œuvres pour lesquelles il est le plus connu, mais il est tout aussi excellent et a l’avantage d’être extrêmement complet. En à peine 220 pages, l’Autrichien nous offre 6 nouvelles et un extrait dans lesquels il nous montre son talent de conteur, l’aisance avec laquelle il peut captiver le lecteur par son intrigue, sa capacité à créer des personnages originaux et atypiques ainsi que l’art avec lequel il maîtrise la chute et la mise en abyme. En bref, ce recueil est un excellent moyen de découvrir Zweig et la complexité de son écriture. Est-ce que j’ai besoin de vous redire à quel point j’aime cet auteur ?
Et si vous voulez savoir mes deux nouvelles préférées, ce sont La Scarlatine et La Dette ! Si vous avez lu ce recueil, quelles sont les vôtres ? Sinon, que pensez vous des recueils de nouvelle en général ?
*Ce livre fait partie du challenge "L'UE en 28 livres".