Pour Philippe Bourrinet, « le communisme des conseils est parfois appelé ’communisme de gauche’ (Linkskommunismus). Issu en Allemagne du KAPD formé en avril 1920 (après son exclusion du KPD en octobre 1919 au congrès de Heidelberg), du mouvement des Unions ouvrières (AAU et AAU-E), ce courant a eu une certaine extension géographique (Allemagne, Pays-Bas, Bulgarie, Hongrie, Grande-Bretagne, Danemark, USA), des théoriciens aussi divers que Herman Gorter, Anton Pannekoek, Otto Rühle, Sylvia Pankhurst, Henk Canne-Meijer, Paul Mattick et Cajo Brendel. Dans les années 60 (surtout après 1968), les idées propagées par ce courant ont ressurgi sous forme de groupes éphémères : aux USA au sein de la ’New Left’, de Root and Branch ; en Europe par le biais d’Informations et Correspondances ouvrières (ICO) – issu de ’Socialisme ou Barbarie’ de Castoriadis et Lefort – de l’Internationale situationniste, et de Solidarity (Maurice Brinton) en Grande-Bretagne, etc. »
J'ai déjà donné la parole à un certain nombre de personnages cités là, mais chacun d'entre nous doit pouvoir pénétrer plus avant cette conception de l'activité révolutionnaire...
Michel Peyret
Le communisme des conseils
Le communisme des conseils désigne une théorie ainsi qu’une pratique adoptées et propagées par différents courants marxistes révolutionnaires, en rupture avec la social-démocratie, puis le communisme officiel, depuis le début du XXème siècle.
Mouvement et finalité des conseils ouvriers
Ce courant trouve son origine dans le mouvement de grèves de masse, tel qu’il s’est développé depuis le début du XXème siècle, en particulier dans la première révolution russe de 1905. Il eu pour premiers théoriciens Henriette Roland-Holst et Anton Pannekoek aux Pays-Bas et Rosa Luxemburg en Allemagne (Grève de masses, parti et syndicats). Ces grèves de masse étant par nature politiques et non syndicales n’avaient rien de commun avec la grève générale, de nature syndicale, propagée par les anarcho-syndicalistes ou les syndicalistes-révolutionnaires. Ces grèves posaient, comme l’affirma déjà le principal théoricien du communisme des conseils Anton Pannekoek, la question du pouvoir, de la « dictature du prolétariat », et donc celui de la destruction de l’État capitaliste. Lénine s’en souvient dans son livre L’Etat et la Révolution
Ce mouvement de grève de masses a culminé dans le mouvement des conseils ouvriers (« soviets ») qui se sont créés en Russie en 1905 et en 1917, en Allemagne lors de la Révolution de 1918 à 1920, en Italie avec l’expérience des conseils d’usine de Turin (1919), en Hongrie en 1918-19 et 1956.
Les conseils ouvriers, pour le communisme des conseils, ne sont pas des syndicats de masse : ils sont la forme politique de la démocratie directe lorsqu’elle rassemble l’ensemble des prolétaires, ouvriers et couches non exploiteuses au cours d’une période révolutionnaire, lorsque se pose la question du pouvoir. La simple transformation de ces conseils en organismes de gestion (organismes de production ou de cogestion) – comme en Russie dès 1918 – ou leur élimination politique au profit d’une Assemblée constituante ’nationale’ – comme en Allemagne en 1919 – marque leur disparition.
Pour le communisme des conseils, les conseils ne peuvent être que ’prolétariens’ ; ce sont eux qui doivent diriger la révolution et prendre le pouvoir au nom de la société toute entière. Le communisme de conseils s’oppose donc au ’communisme de parti’ et en particulier au ’léninisme’ (ou ses ’dérivés capitalistes d’État’ : trotskysme, maoïsme, stalinisme, titisme, castrisme, etc.), selon lequel les conseils doivent être soumis à la seule autorité du parti communiste qui doit diriger la révolution, s’emparer du pouvoir étatique et ’construire’ la société socialiste. Ayant pour but l’édification d’une société sans classes et sans État exploiteur, le communisme de conseils considère que le capitalisme d’État n’est rien d’autre que la perpétuation du pouvoir des capitalistes privés dans le cadre d’un État, qui – sous l’égide une bureaucratie ou d’une caste de fonctionnaires et de ’spécialistes’ - devient le « capitaliste idéal » (Engels) chargé d’assurer une accumulation primitive du capital, dans un cadre national fermé. Ce ’socialisme national’ n’est donc pas un ’progrès historique’ - même si il peut être considéré comme un tardif succédané de la ’Révolution bourgeoise’ dans une ’aire géographique’ arriérée – mais une régression vers un stade primitif du capitalisme, mais privé de son ’dynamisme juvénile’. Son expansion se reflète dans la sphère militaire (économie d’armements) et non dans une sphère de développement des échanges économiques internationaux.
C’est donc la négation du cadre national, démultipliée dans le mouvement de mondialisation de la révolution prolétarienne, qui caractérise le mieux le communisme des conseils. Ce dernier ne reconnaît dans le fait national qu’une donnée historique transitoire dans l’histoire de la société mondiale. La prise du pouvoir des conseils ouvriers n’a aucun sens sur le terrain de la nation (« socialisme dans un seul pays »), et ne peut prendre racine que si elle englobe simultanément au moins un groupe de pays, sapant d’entrée les bases d’une idéologie de défense de la ’patrie socialiste’.
Parce que les conseils ouvriers sont édifiés sur une base territoriale, ils ne peuvent avoir d’existence purement nationale. L’institutionnalisation d’une fédération d’États socialistes des conseils est donc exclue. Le pouvoir des conseils ouvriers dans plusieurs pays, un continent, puis plusieurs, ne peut se fonder que sur une libre et égale association de conseils ouvriers territoriaux ou régionaux, basés sur les ensembles de production, faisant éclater par là le fait national ou nationalitaire. La fédération de ’Communes territoriales’ conduit à l’instauration d’un État-Commune mondial (théorie développée par le KAPD, en particulier par Karl Schröder et Anton Pannekoek).
Un « nouveau mouvement ouvrier »
Le communisme des conseils depuis les années 30 considère que la première guerre mondiale a sapé toutes les bases de l’ancien mouvement ouvrier, organisé dans les syndicats et les parlements. Cet ancien mouvement reposait sur des conquêtes progressives et partielles ainsi que la recherche d’alliances avec des ’fractions progressistes’ de la classe dominante, en vue d’une prise du pouvoir graduelle et légale. Considérant que le capitalisme traditionnel était entré dans une phase de ’crise mortelle’ (Todeskrise), le communisme des conseils estimait en conséquence que tout nouveau mouvement ouvrier se devait, par principe et non de façon contingente :
- rejeter la forme syndicale, officielle ou syndicaliste (d’industrie ou ’basiste’), considérée comme l’expression d’un réformisme utopique, dont la seule fonction est : soit de dévier les luttes sociales sur le seul terrain économique immédiat, soit de légalement encadrer la force de travail dans un cadre d’une gestion tripartite du capital entre État, patrons et ’représentants légaux’ du Travail. Selon le communisme des conseils, les nouvelles formes d’organisation, en remplacement des vieux syndicats, seraient les ‘Unions ouvrières’ nées de la lutte révolutionnaire, organismes de lutte politique et économique, les comités d’action, de chômeurs, nés spontanément des besoins de la lutte de classe.
- rejeter le cadre parlementaire et toute ’tactique électorale’. Le communisme des conseils estime que dans une période de préparation révolutionnaire, où seul le prolétariat peut obtenir de véritables acquis sociaux par un changement radical de société, la participation aux élections est un piège mortel, comme l’acceptation de l’Assemblée constituante en Allemagne en janvier 1919. De tribune révolutionnaire avant 1914, le parlement est devenu un cirque électoral, à l’image du Cirque Busch de Berlin, où les conseils se sabordent légalement et donnent tout pouvoir à l’Assemblée constituante. La seule participation possible aux élections est donc celle de la base des Conseils ouvriers, lors de la nomination (et de la destitution) de ses délégués.
-refuser un soutien, même tactique, aux mouvements de ’libération nationale’, opposant toujours à l’idée nationale celle de la lutte de classes pour la conquête du pouvoir par le seul prolétariat (ouvriers et paysans pauvres), seule classe porteuse d’un progrès historique.
Courants du communisme des conseils et questions d’organisation de classe
Le communisme des conseils est parfois appelé ’communisme de gauche’ (Linkskommunismus). Issu en Allemagne du KAPD formé en avril 1920 (après son exclusion du KPD en octobre 1919 au congrès de Heidelberg), du mouvement des Unions ouvrières (AAU et AAU-E), ce courant a eu une certaine extension géographique (Allemagne, Pays-Bas, Bulgarie, Hongrie, Grande-Bretagne, Danemark, USA), des théoriciens aussi divers que Herman Gorter, Anton Pannekoek, Otto Rühle, Sylvia Pankhurst, Henk Canne-Meijer, Paul Mattick et Cajo Brendel.
Dans les années 60 (surtout après 1968), les idées propagées par ce courant ont ressurgi sous forme de groupes éphémères : aux USA au sein de la ’New Left’, de Root and Branch ; en Europe par le biais d’Informations et Correspondances ouvrières (ICO) – issu de ’Socialisme ou Barbarie’ de Castoriadis et Lefort – de l’Internationale situationniste, et de Solidarity (Maurice Brinton) en Grande-Bretagne, etc.
Si aujourd’hui le communisme des conseils semble peu se distinguer du courant libertaire, en se considérant comme un ’courant antiautoritaire’, il n’y a pas forcément adéquation politique :
-Le communisme des conseils, même dans ses expressions ’libertaires’ (Otto Rühle), s’est considéré comme un courant marxiste, se réclamant particulièrement de Rosa Luxemburg et Anton Pannekoek.
-Rejetant la ’forme Parti’ – ’dans le sens traditionnel du terme’, selon le KAPD en 1920 – les différentes nuances du communisme de conseil considèrent que la « révolution n’est pas une affaire de parti », mais contient de réels problèmes d’organisation, qui se traduisent par l’apparition constante de groupes politiques.
-A la différence des courants libertaires traditionnels, le communisme des conseils ne s’est jamais reconnu dans le ’fédéralisme’ anarchiste et son rejet de tout processus de centralisation de la lutte de classe. Seul le courant d’Otto Rühle s’est trouvé en adéquation avec les conceptions fédéralistes de l’anarchisme classique.
-Surtout, au niveau de la lutte de classe, le communisme des conseils est resté fidèle à l’idée d’une organisation de masse, surgissant non d’une mythique ’grève générale’ (conception d’Albert Sorel), mais de la grève de masse. Celle-ci restant politique et débouchant sur un affrontement violent avec l’État, ce que dénient les courants traditionnellement pacifistes de l’anarchisme.
Philippe Bourrinet
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