J’ai de l’estime pour Bernard Ledilavrec, maire de Gaillon. Je le connais assez pour être certain que ce membre du Parti socialiste place au-dessus de tout des valeurs essentielles telles que la liberté de penser et d’exprimer une opinion sans craindre ni censure ni blâme. Sans aucun doute animé de l’esprit des Lumières et de la Déclaration des droits de l’homme, le premier magistrat de Gaillon s’est pourtant contredit, mardi, à l’occasion des cérémonies du 11 novembre. Les faits tout d’abord. Comme ils le font chaque année, et dans des lieux différents à chaque fois, les membres de la section départementale de « La libre pensée » s’étaient donné rendez-vous devant le monument aux morts de Gaillon, rejoints par des membres des sections de l’Eure de la Ligue des droits de l’homme, afin de lire un texte soulignant la nécessité de réhabiliter les « fusillés pour l’exemple. » (1) Ces fusillés de la grande guerre (plusieurs centaines) l’ont été après que des officiers avaient décidé que leur comportement réel ou supposé était susceptible de porter atteinte au moral des troupes et notamment celles placées en première ligne et appelées à charger baïonnette au canon devenant ainsi des cibles pour les mitrailleuses allemandes ou des victimes des shrapnels et autres obus d’artillerie. Les nombreux documentaires diffusés à l’occasion du centenaire du début de la première guerre mondiale nous donnent « le spectacle » atroce de ces victimes de tous bords et on comprend, eu égard à l’inutilité évidente ou l’inefficacité avérée de certains ordres, que des soldats soient devenus des mutins ou qu’ils aient accompli des actes destinés à sauver leur peau. Faire des exemples devenait une obsession pour certains généraux. Que les ordres aient été transgressés ou pas.
Pendant des décennies, les familles des fusillés pour l’exemple ont subi honte et humiliation d’autant que certains soldats n’avaient rien à se reprocher et ont été victimes d’une sorte de délit de sale gueule. Lionel Jospin, en son temps, a d’ailleurs rappelé le sacrifice de ces centaines de morts à qui on interdisait de faire figurer leur nom sur les monuments aux morts et qui n’avaient pas le droit d’être « morts pour la France. » Dans son texte, lu devant un comité subitement restreint, le président de la Libre pensée de l’Eure a rappelé ces éléments de condamnations — pour certains arbitraires — et un passage consacré au conseil général de Corrèze et à François Hollande son ancien président, n’a pas eu l’heur de plaire à Bernard Ledilavrec qui avait eu copie du texte avant la cérémonie. Ce dernier a invité les personnalités présentes au vin d’honneur sans attendre la lecture du texte rendu public par Jean Jayer, président de la Libre pensée, auquel il a reproché le contenu du papier distribué ensuite à la presse. De la même façon qu’il faut savoir perdre une élection, Il faut aussi accepter la contradiction ou des désaccords. Jean Jayer ne demandait pas au maire de Gaillon d’être en osmose avec son texte, il lui demandait de respecter « sa liberté de penser. »Voltairien, non ? (1) Pendant la Première Guerre mondiale, en France 2 400 « poilus » auront été condamnés à mort et environ 600 fusillés pour l’exemple, les autres voyant leur peine commuée en travaux forcés. Ces condamnations ont été prononcées pour refus d’obéissance, mutilations volontaires, désertion, abandon de poste devant l’ennemi, délit de lâcheté ou mutinerie (en 1917).
A Louviers, la cérémonie fut consensuelle. On reconnaît Leslie Cléret et François-Xavier Priollaud. (photo JCH)