Mommy ne se raconte pas il se vit, il se ressent. Styl is Tika vous propose un bout de tempo, un échantillon de fièvre. BO en béton, images léchées, comme peintes à même la toile ciné, acteurs en félicité, engagés, filmés au plus près, cadre resserré, Xavier Dolan, à peine 25 ans, réussit la prouesse dont rêvent tous les réalisateurs : mettre une salle en lévitation.
Besoin d’un doudou pendant la projection ?
Oh que oui ! Ma voisine se cramponne à son foulard, mon voisin à son écharpe, je ne peux m’empêcher de serrer mon pull, besoin de m’accrocher à quelque chose. Je sens qu’on me noue le cœur, j’ai l’âme en ébullition, la cervelle en apnée, et ça va durer 2h20.
« Mommy est un film très sombre en son cœur, mais verni de lumière » Xavier Dolan.
Premier coup dur. Dolan pose son cadre. Dans le futur, une loi canadienne autorisera les parents d’enfant « défaillants psychologiquement » à les abandonner à une institution d’Etat. Tout est dit, nous le savons dès le début, cette phrase claque comme un avertissement qui va nous nouer le ventre pendant tout le film.
Anne Dorval, alias Diane, surnommée Die, a du souci à se faire, la maison de redressement met son fils à la porte, diagnostiqué TDAH*, hyperactif et violent ; le message est clair : « Ce n’est pas l’amour qui va sauver votre fils ». Antoine Olivier Pilon, alias Steve, ado de 17 ans, entre une Tatie Danièle juvénile et un Hannibal Lecter inquiétant et enragé, fait une performance remarquable, lui ne se fait aucun souci, il rentre chez Mommy. Cet agneau-là est loin d’être silencieux.
Mais elle ne baisse pas les bras. Portée par son amour fusionnel, elle va tout reprendre en main, école à domicile, éducation, écoute, recadrage, tout. Oui, Steve est violent, émotif, mais aussi passionné de musique, et très créatif. Il veut faire une école d’art, il veut aller de l’avant lui aussi. Elle le sait, elle fait des petits boulots pour joindre les deux bouts. Ensemble on est plus fort, même si il se bat, vole, jure, il sait aussi être doux et aimant. On veut oublier l’abandon possible, on veut croire. Alors on pleure, on rit, on se laisse émerveiller par la beauté visuelle de chaque plan. Mais derrière l’esthétique léchée se cache la maladie mentale, symptôme familial. Deviendrait-elle une communication à part entière ? Qui est le plus atteint ? Diane ou Steve ? Qui est le malade de l’autre ? Le fils ou la mère ? Le traitement de Dolan pousse même les pros du TDAH à se poser les bonnes questions. Mommy est plus qu’un drame social, c’est un parcours, une réflexion, un questionnement. L’art de Xavier Dolan est de nous pousser dans nos retranchements.
L’amitié, comme une nouvelle famille.
Arrive la voisine, Suzanne Clément, alias Kyla, emprisonnée elle-même dans des difficultés d’élocution, sans doute les suites d’un trauma, elle sera le troisième membre de cette famille recomposée. Elle tend la main à Die, c’est elle qui enseigne à Steve. Tous les jours elle traverse cette rue et quitte sa propre famille pour en nourrir une autre. La nourrir d’amour, la nourrir de soi. Peut-être pour mieux laisser sa vie sur le trottoir. - comment oublier cette scène de complicité bien arrosée entre Kyla et Diane, où le fou-rire nous prend à la gorge et nous fait pleurer de joie -
Argot et musique, des acteurs à part entière.
Autre coup dur, la langue. Dès la première minute, Die vous capte les tripes avec sa voix rauque maniant un argot québécois très fleuri. Ça claque, ça parle fort, les insultes pleuvent, c’est pourtant jouissif et si drôle ! Les sous-titres donnent le rythme. Effréné. Un argot excessif, brutal, presque animal. C’est la langue de Die, son lien intime avec Steve. En fait, ce Joual est une création de Dolan. Selon les media canadiens, aucun québécois n’utilise ce Joual. Cette initiative choque d’ailleurs ces québécois qui ne veulent pas que l’on salisse leur identité, et la belle langue française. Le débat est lancé. Peu importe, ce voyage argotique est aussi important que la musique, il est une création artistique.
Dès la première image, la musique est le mot calque que Dolan ajoute à l’image et aux dialogues. Il y a une différence entre l’enregistrement laissé à Steve par son père, parti trop tôt, très années 90, qu’il écoute inlassablement, et la BO de Dolan reprenant ce qu’il y a de plus hétéroclite : Ellie Goulding, Lana Del Rey, Oasis, One Republic, Sarah Mac Lahan, Dido ou Counting Crows. Les morceaux ondulent comme autant de vagues d’émotion. Chacun de ces titres ne pourra plus jamais être dissocié des images de Mommy. – « On ne change pas » de Céline Dion chanté à tue-tête dans la cuisine, et peut-être plus encore Colorblind de Counting Crows quand Steve file sur son skate, grand moment de cinéma, dont on ne vous dévoilera pas l’originalité -
L’amour ne meurt jamais.
Xavier Dolan aime ses acteurs, un trio déjà très présent dans ses précédents films ou clips. Leur grande qualité ? Tout donner. Nous sommes dans la générosité, dans la vérité, et nous, spectateurs, dans le sentiment d'être plus vivants que jamais. « Jane Campion, …. La leçon de piano a été le film qui a changé ma vie. ... Vous m’avez donné l’envie d’écrire des rôles pour des femmes magnifiques avec une âme, une volonté et une force extraordinaires, pas des victimes ni des objets….Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n’abandonne jamais » (extraits du discours de Xavier Dolan à Cannes 2014). Tout est dit. Mommy on t’aime pas, on t’adore !
Mommy, de Xavier Dolan, a été le prix du Jury de Cannes 2014, il est son cinquième film en cinq ans. Revoir son discours et son hommage à Jane Campion.
Avec Antoine Olivier Pilon, Anne Dorval, Suzanne Clément
Playlist du film : à écouter à la relecture de ce post. Car oui il faut le relire !
*TDAH : trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité.
Mommy
Mommy Bande-annonce VF
Xavier Dolan et son équipe à Cannes