Statisticien raté

Publié le 12 novembre 2014 par Malesherbes

Monsieur Geoffroy Roux de Bézieux, numéro deux du Medef, vient d’affirmer : "Un patron de PME se suicide tous les deux jours". J’espère que ce responsable gère mieux ses affaires qu’il ne manie la langue française : si Ian Fleming a pu écrire un roman intitulé « On ne vit que deux fois »,il n’est pas possible de mourir plusieurs fois et pas davantage à intervalles aussi brefs. Ce que ce syndicaliste voulait sans doute dire c’est : « Tous les deux jours, un patron de PME se suicide ».

Mais il n’est pas convenable de plaisanter sur un sujet aussi grave. Interrogeons-nous plutôt sur le bien-fondé de cette affirmation. Il se trouve qu’il n’existe pas en France de statistiques officielles sur le nombre de suicides selon la profession des victimes. Une première difficulté réside dans le fait qu’un suicide peut ne pas avoir été enregistré comme tel mais comme un décès dû à une autre cause. Une deuxième résulte de ce que la déclaration à la mairie de la profession et de la catégorie socioprofessionnelle (CSP) peut aussi bien être faite par le médecin que par les proches ou l’administration funéraire, d’où le risque d’une certaine inexactitude de ces données. Une troisième limite est qu’il n’existe pas de CSP qui permettrait de distinguer les PME des autres entreprises. Enfin on ignore si un suicide est lié à des causes professionnelles ou à des raisons personnelles.

Il est donc tout à fait risqué, pour ne pas dire malhonnête, de lancer à la cantonade des nombres qui ne reposent pas sur grand-chose. Si l’on se risque dans le domaine statistique, on peut mentionner les résultats d’une enquête réalisée par le Centre d’Épidémiologie sur les Causes Médicales de Décès de l’Inserm, à partir des informations fournies par les certificats médicaux de décès de l’année 2006 en France métropolitaine. On y trouve, pour chaque catégorie, le taux de mortalité par suicide (nombre de suicides pour 100 000 habitants) :

Agriculteurs exploitants   31,8

Artisans, commerçants, chefs d’entreprise     18,0

Cadres, professions intellectuelles supérieures   7,9

Professions intermédiaires   13,7

Employés   25,0

Ouvriers   28,4

Ensemble   19,5


 

Avec toutes les réserves énoncées précédemment, on peut déduire de ces données que :

- le risque de suicide des chefs d’entreprise n’est pas différent de celui de l’ensemble de la population

- les agriculteurs exploitants sont les plus exposés au fléau du suicide

- si l’on travaille en entreprise, mieux vaut, sous l’angle considéré par M. de Bésieux, être chef d’entreprise qu’employé ou ouvrier.