d'après LE FERMIER de Maupassant
Le baron Denis du Theille m’avait écrit :
’’ Vous me raviriez
Si vous veniez chasser
Sur mes terres de Varly.’’
J’avais accepté.
À la gare, il était venu me chercher
En compagnie d’un vieux fermier
Qui nous aida à monter dans leur char à bancs.
Le baron avait plus de cinquante ans,
Dix ans de moins peut-être que le cocher
Qui nous conduisait.
Après une demi-heure environ,
La guimbarde s’arrêtait
Devant la ferme du baron.
La servante et un jeune gars nous attendaient
Après le diner, pris en commun, le cocher dit :
-« Je vais me mettre au lit.
Je n’ai pas coutume de veiller. »
Le baron lui répondit :
-« Allez, Jean, mon ami, bonne nuit. »,
D’un ton si cordial, que je lui demandai :
-« Cet employé vous est très dévoué ? »
-« C’est un drame qui m’attache à lui.
À l’époque, nous habitions Coutances.
Mon père, colonel de cavalerie,
Avait ce garçon comme ordonnance.
Quand mon père a quitté l’armée,
Il engagea ce sous-officier de quarante ans.
En tant que valet et cocher.
Moi, j’avais trente ans.
Louise, notre servante était une des filles
Les plus jolies de la ville.
Jean l’épousa.
En cadeau, mes parents les établirent
Sur notre terre de Saugire
Jouxtant Varly
Où nous sommes aujourd’hui.
Moi, étant de la race des aventuriers,
J’ai parcouru le monde et ses forêts
Pendant trois ans. En rentrant,
J’appris que Louise et mes parents
Étaient décédés. Puis je fus deux ans
Encore sans revoir Jean.
Un automne, l’idée me vint d’aller
Chasser à Saugire.
J’oubliai d’avertir
Jean. Quand je suis arrivé,
Il m’a raconté :
-« Dès que vous êtes parti voyager,
Louise est tombée gravement malade. Elle maigrissait
À vue d’œil. Un jour, elle m’a avoué :
’’ Je ne peux pas me consoler
D’avoir quitté le château de Varly.
J’avais trop d’amitié
Pour monsieur Denis.
Rien que de l’amitié.
Crois-moi, Jean, je ne t’ai jamais trompé.
Ça me tue de ne plus voir monsieur Denis.
Si seulement je le voyais,
Je serais en bonne santé. Dis-lui
Quand je ne serai plus là.
Jure-moi que tu lui diras.
Dis-lui aussi que je meurs de ça.
Ça me fait du bien de savoir qu’il saura.’’
’’ Voilà, monsieur Denis. J’avais promis.
Maintenant, c’est dit.’’