Je ne sais pas vous, mais moi j’en ai toujours eu un bol Margrethe dans ma cuisine. Rouge, blanc ou noir, en Suisse, côté couleurs, on a moyen le choix. Cet automne, j’ai dû aller à Copenhague pour le boulot, et j’ai tout de même réussi à faire un saut au rayon cuisine d’un grand magasin de design*. C’était la fête: mon bol préféré a soixante ans cette année, et, comme c’est une véritable icône du design, un mur entier était recouvert de bols Margrethe de toutes les couleurs. C’était tellement beau que j’ai passé une demi-heure en extase devant ces dégradés de tailles – du bol où mélanger des crêpes pour 20 personnes au coquetier – et de tons, une autre à me demander comment j’allais bien pouvoir caser tous ceux que j’avais envie de ramener dans ma valise cabine, et là j’ai dû filer en catastrophe pour attraper mon avion.
Bref. Mais dans la foulée, j’ai découvert que l’inventeur de ce bol génial** n’est autre que Sigvard Bernadotte, prince de Suède. Et si ses bols s’appellent «Margrethe», c’est un clin d’œil à l’une de ses nièces, devenue reine, mais du Danemark! C’est tellement chic, un prince designer, ça n’arrive qu’en Scandinavie. Vous imaginez Albert de Monaco dessiner un saladier? Ou Charles et Camilla signer un canapé? Non, on est d’accord, ça le fait pas. Mais ce n’est pas un hasard, plutôt une histoire de latitude: l’hiver est si long dans le coin que les gens passent beaucoup de temps chez eux, du coup ils ont envie de s’entourer de belles choses. Voilà comment les Scandinaves expliquent qu’ils font du design comme monsieur Jourdain faisait de la prose chez Molière: à l’insu de son plein gré.
Quant à Sigvard, pour terminer le conte de fées, il n’est jamais devenu roi, car il a perdu son droit de succession au trône après avoir épousé une roturière. J’ai envie de dire que bien lui en a pris: je n’ai aucune idée du genre de souverain qu’il aurait été, mais c’était un immense designer.
* Si vous allez à Copenhague et que vous aimez le design, il faut vraiment y faire un saut, l’endroit s’appelle Illum Bolighus. Ne me demandez pas comment ça se prononce, mais c’est sur le Strøget (ne me demandez pas non plus), la fameuse rue commerçante piétonne du centre. Quatre étages d’objets tous plus beaux les uns que les autres, du couteau à pain en passant par le canapé et un espace luminaires à tomber, de la folie on vous dit.
* sa forme est tellement parfaite qu’on a envie de dormir dedans et que jamais un tas de farine ne traîne dans un coin sans se mélanger au reste. Il est équipé d’une rondelle en caoutchouc qui l’empêche de glisser, on peut lui coller un couvercle, qui existe aussi avec une petite râpe…