La Préfète Béatrice Abollivier et le Directeur de la DDTM, Raynald Vallée, présentent l’une des cartes d’aléas, objets de l’ire des élus rétais
A la suite de l’arbitrage politique rendu par l’Etat en faveur d’une surinterprétation du risque de submersion marine et d’une application maximaliste de la circulaire du 27 juillet 2011, l’avenir de l’île de Ré est gravement hypothéqué et les Rétais sonnés.
En effet, lors du Comité de Pilotage de la révision du PPRL de l’île de Ré qui s’est tenu le 6 novembre, forte d’une lettre de Mission du Ministère de l’Ecologie, qui avait délégué Maryline Simoné et un expert pour cautionner ses annonces, la Préfète Béatrice Abollivier n’a pas boudé son plaisir, puisque in fine l’arbitrage politique de l’Etat va dans le sens d’une application « maximaliste » de la circulaire du 27 juillet 2011, qu’elle a toujours prôné dans le cadre du PPRL de l’île de Ré, au nom du principe de précaution.Le bras de fer entre élus rétais et services de l’Etat entamé depuis l’été 2012 et les premières grandes réunions publiques rétaises, monté d’un cran à partir de juin 2013 et la présentation des cartes de niveaux d’eau qui avait mis le feu aux poudres, reprend ainsi de plus belle, après quelques mois d’échanges confiants, les élus, professionnels et propriétaires rétais consternés ne comprenant pas que l’important travail d’expertise mené par la CdC et ses cabinets depuis 2 ans n’ait été intégré qu’à la marge.
Quelle valeur réglementaire des cartes d’aléas de l’Etat ?
Les cartes d’aléas ont un peu évolué du fait de la prise en compte par la DGPR de six parapets supplémentaires et de trente-sept ouvrages en bris, par rapport au scénario d’octobre 2013, qui lui-même avait intégré une « meilleure adéquation des frottements avec l’occupation du sol et la sollicitation des ouvrages à la houle ». Il n’en reste pas moins que ces cartes d’aléas court terme restent extrêmement impactantes pour les communes du nord de l’île de Ré. Lors du point presse la Préfète s’est elle-même dite « étonnée » que la prise en compte de ces éléments techniques apportés par la CdC n’ait pas davantage d’impact positif sur la réduction des emprises de submersion.Les deux « doctrines » de l’Etat et de la CdC continuent de s’opposer sur la faillibilité des digues, même nouvellement construites, les experts de l’Etat ayant modélisé sur la base de digues totalement faillibles, tandis que ceux de la CdC – sur la base d’études extrêmement poussées – ont intégré dans leur modèle l’effacement de bon nombre de brèches.
L’Etat et la Préfète ont d’ailleurs reconnu que la méthodologie et le modèle des experts de la CdC étaient très poussés et intéressants, allant au-delà de ce qu’ils souhaitaient avoir, mais qu’ils n’intégraient pas les études de danger. A contrario, selon l’Etat, l’étude d’Artélia respecte la circulaire de juillet 2011.
Le fait que certaines zones seraient colorées en aléa fort alors qu’elles n’ont pas eu une goutte d’eau lors de Xynthia s’expliquerait selon la Préfète par le fait que les cartes d’aléas croisent la hauteur d’eau et sa vitesse… Ce que contestent vigoureusement et encore les élus rétais. Béatrice Abollivier a précisé, après ce comité de pilotage marathon, que « ce sont les seules cartes qui ont une valeur réglementaire », ce que réfutent Lionel Quillet et l’ensemble des Maires de l’île, qui font front commun et affirment que malgré le « porter à connaissance » dont elles ont fait l’objet à l’issue du comité de pilotage, elles n’ont aucune valeur réglementaire. La présentation par la Préfète des « cartes informatives intégrant les travaux prévus au programme d’actions de prévention des inondations (PAPI) après leur réalisation à l’horizon 2018/2020 » comme le prévoit la circulaire, n’a pas plus satisfait les élus rétais. Si dans le cas de La Couarde le centre bourg ne serait plus en aléa fort, le centre des Portes, lui, le serait toujours, et globalement l’emprise de submersion du canton nord resterait très importante. Plusieurs Maires ont fait part à Ré à la Hune du « choc » qu’ils ont subi lors de cette réunion, d’autant plus que la première carte présentée fut très maladroitement celle des Portes, traumatisante pour son Maire, sans compter que la présentation de l’expert d’Artelia aurait été « particulièrement mauvaise » selon eux.
Des ouvertures possibles dans les règlements communaux La Préfète a beau estimé avoir laissé entrevoir des ouvertures dans les discussions réglementaires commune par commune et parcelle par parcelle avec chacun des dix maires, des marges de manoeuvre existant à ce niveau-là d’après elle, tout comme dans les constructions d’étages qui deviendraient possibles – « la notion de sécurité dépassant dès lors celle d’inconstructibilité » – , les Maires sont restés imperméables à ses arguments. Même la perspective de l’élaboration d’une zone d’intérêt stratégique (ZIS) expérimentale à Saint-Clément des Baleines, susceptible de débloquer le projet du Moulin Rouge, et qui pourrait si elle était concluante permettre d’envisager des ZIS sur d’autres communes, n’a pas vraiment convaincu les élus qui ont évoqué une « simple poire pour la soif » et relevé l’incongruité du concept qui conduirait à autoriser la construction d’Ehpad, de logements sociaux, etc… en zones pourtant décrétées inconstructibles par l’Etat…
L’île de Ré est manifestement directement pénalisée par le traumatisme de l’Etat consécutif à l’évènement Xynthia ayant conduit à ériger le principe de précaution en doctrine suprême, qui plus est dans le contexte actuel hyper médiatisé du procès de la Faute-sur-Mer. En outre, comme l’ont justement relevé plusieurs élus rétais, confirmé par Maryline Simoné (lire ci-après), l’Etat n’entend pas que se crée « une jurisprudence île de Ré » qui risquerait ensuite de se propager comme une tâche d’huile partout en France, avec en filigrane les coûts exorbitants que représenteraient en ces temps de disette le financement des protections à la mer.
Imperturbable après ce comité de pilotage marathon de près de 4 heures, la Préfète entend ainsi poursuivre le processus d’élaboration du PPRL rétais. Elle risque fort d’avoir maille à partir avec Lionel Quillet et les Maires, qui ont déjà prévu de présenter ce mercredi 12 novembre à l’ensemble des élus rétais leurs propres études et cartes d’aléas dans leur « porter à connaissance » et de continuer à instruire sur cette base.
Le territoire rétais sera désormais « géré » par les Juges…
Ce que voulait à tout prix éviter Lionel Quillet, plusieurs fois évoqué en réunions publiques depuis deux ans, sera dès lors inévitable : l’île de Ré, son urbanisation et l’aménagement du territoire seront arbitrés par les juges. Cette judiciarisation va malheureusement de fait induire des délais qui seront fatals pour nombre de professionnels déjà très fragilisés, sans compter que le gisement des acquéreurs potentiels en zones « litigieuses » va se réduire comme peau de chagrin, car qui prendrait le risque d’acquérir un bien dont il ne connaîtrait pas de façon viable la valeur ? Quid également des drames personnels et familiaux dont personne ne sera à l’abri sur le canton nord, pas même ceux qui ont fait un lobbying constant pour que le PPRL constitue un outil d’urbanisation de l’île, ce qui n’est pas sa vocation première ?Il n’est toutefois pas sûr que l’Etat sorte in fine gagnant de ce bras de fer à moyen terme, car en évitant une « jurisprudence île de Ré » il va être confronté à une jurisprudence devenue de facto nationale qui se forgera au fil des décisions des juges. Or les avocats de l’île de Ré sont très confiants sur les issues de ces joutes judiciaires, au regard des récentes décisions tombées, tant dans le cadre de certains permis de construire aux Portes, que de l’invalidation du PPR fluvial d’Alès (lire ci-après).
Exemple de carte d’aléas. Présentation d’aléas submersion marine court terme,
La Couarde-sur-Mer. Cliquez pour agrandir
Nathalie Vauchez http://www.realahune.fr/les-avocats-les-juges-au-chevet-lile-re/Les étapes de la procédure
La Préfète a également précisé le calendrier des opérations à venir pour aboutir à la mise à l’enquête publique des PPRL par commune au dernier trimestre 2015 et remis aux Maires rétais les éléments réglementaires que les élus devront prendre en compte tant dans l’instruction des demandes de permis de construire et autres actes, que pour l’élaboration de leurs documents d’urbanisme.
Ce porter à connaissance a été élaboré en prenant en compte les nouveaux éléments du risque de submersion marin issus des cartes d’aléas. La prescription des PPRN, notamment le périmètre mis à l’étude et les modalités de la concertation avec la population et les collectivités territoriales, fera l’objet d’un arrêté préfectoral qui marquera le départ du délai de trois ans au terme duquel les PPRN doivent être approuvés, pouvant être prolongé de 18 mois.
La concertation avec les élus se fera via le comité de pilotage tandis que la phase de travail réglementaire donnera lieu à des réunions de travail bilatérales entre les communes et les services de la DDTM. La Population sera informée – même si l’on parle officiellement de « concertation » la Préfète a reconnu que le terme était quelque peu «surfait » puisque les concertations se font après que les projets soient ficelés – au travers de réunions publiques. Deux sont prévues par canton, pour présenter les cartes d’aléas puis les règlements communaux définissant les conditions de constructibilité. Des réunions d’information des associations, et différents supports de communication complèteront le dispositif.
La phase d’élaboration des documents réglementaires a pour but de mettre à disposition des communes et de la CdC un document plus complet que le porter à connaissance, permettant de faciliter le travail d’instruction des actes d’urbanisme. Elle va se dérouler en plusieurs temps : recensement des enjeux existants et des projets futurs, commune par commune, élaboration du zonage réglementaire par le croisement des aléas et des enjeux, puis élaboration d’un règlement type et de la carte réglementaire par les services de l’Etat.