Kemi: Me présenter ? Bon. Moi c'est Kemi Outkma, j'écris depuis que je sais tenir un stylo et continuerai probablement jusqu'à ce que mort s'ensuive, j'ai à ce jour vu publié, outre ma participation à Pentatracks, un roman (format papier : Cycle(s), Editions Unicité 2012 et format numérique : Demain je ne pointe pas, Editions Numeriklivres 2014), un recueil de nouvelles (format papier : Junkz, Editions Forgeurs d'étoiles 2014) et quelques articles dans la revue d'expression littéraire Le cafard hérétique. Je tiens également un blog sur wordpress : Tranches de vi(d)e.Quant à parler de moi, c'est un exercice que je préfère laisser aux autres ; ils le font, en bien comme en mal, toujours mieux que moi... en échange je m'offre le luxe de rester spectateur, me faire témoin et volontiers critique de leurs vies et de leurs morts, auxquelles je rends un hommage sincère par mes histoires, trop sincère pour que ces histoires finissent bien.
Marie: Je préfère laisser les mots parler pour moi. Ils se débrouillent plutôt bien, à ce qu’il paraît. Je les aime tellement que j’ai poussé le vice jusqu’à étudier plusieurs langues, en sus du français : anglais, italien, allemand, espagnol, occitan… En revanche, je ne suis pas du tout attirée par celles, trop limitées à mon goût, qui s’écrivent au moyen d’idéogrammes, comme le chinois ou le japonais. Les lettres de nos alphabets sont nettement plus riches, offrant des possibilités quasi illimitées de combinaisons, du moins de mon point de vue.
Antonia: Je suis une romancière franco-américaine qui vit à Montréal. Mon premier roman, la saga familiale des Crèvecoeur, a récemment été publié aux Éditions La Bourdonnaye et il illustre bien, tout comme cette nouvelle que j'ai écrite, ma fascination pour les histoires avec un H et les personnages plus grands que nature.
Marie: Bien avant l’expérience Pentatracks, je m’étais dit qu’un jour j’écrirais un texte inspiré par un morceau de Hubert-Félix Thiéfaine. C’est le seul chanteur (francophone) dont j’ai la discographie complète à la maison. Je suis fan de ce poète depuis ses débuts. Lorsqu’on m’a proposé de participer au recueil, moi qui ne suis pas croyante, je me suis surprise à prier pour que l’une de ses chansons soit proposée. Quand j’ai eu connaissance de la playlist, j’ai lévité de dix bons centimètres au-dessus du fauteuil de mon bureau : Mathématiques souterraines y figurait ! Nirvana… Euh non, Thiéfaine !
Chris: Ça a été difficile, car depuis quelques années, j'écoute de moins en moins de musique. Je préfère le silence. Au départ, je voulais le titre de Lou Reed « Take a Walk on the Wild Side », parce que j'aime bien, mais aussi parce que Lou Reed était mon voisin pendant des années à New York. Tout de suite, j'ai eu envie de partir sur l'angle de la proximité, du trottoir sur lequel on croise l'autre... Oui, simplement, limpide, ça commençait en traversant la rue. Mais le titre avait déjà été pris. Alors j'ai écouté au moins une fois les morceaux choisis par les internautes et je suis revenue à la même époque. À l'époque du rock des poètes inspirés par les thèmes de l’androgynie, l’identité, la sexualité, la sensualité, et je suis tombée sur, « Riders On the Storm » de The Doors. Le chaos mental qui règne dans ce morceau m'a complètement habitée pendant quelques jours et j'ai essayé à travers un groupe de personnages de retranscrire ce chaos des sens et de l'esprit.Antonia:J'ai écouté la liste des titres qui nous avait été envoyée avec une vague idée d'histoire derrière la tête. Dès que j'ai entendu le titre de Gil-Scott Heron, avec son ambiance sombre et envoûtante, j'ai eu le coup de foudre et j'ai su que c'était la bonne. Après deux écoutes, toute mon histoire s'est mise en place et le personnage d'El Santo se tenait littéralement devant mes yeux. C'est un morceau de musique particulièrement intéressant parce que c'est une relecture très moderne d'un morceau classique de Blues. Du coup, le sujet littéraire qu'il illustre devient lui aussi atemporel: le retour permanent du diable et à travers lui, plus symboliquement, celui du mal.
Isa: Pouvez-vous partager avec les lecteurs votre ressenti quant à cet expérience d'écriture en musique ?Thierry: Comme auteur de chansons, dont je fais parfois moi-même aussi la musique, "l'écriture en musique" m'est vraiment familière. D'ailleurs, même pour mes romans, et même dans mes textes de philosophie, je suis avant tout sensible au rythme. Je crois que le secret de toute écriture, quel qu'en soit le genre, est dans le rythme. Les gens qui ne sont pas musiciens le confondent avec le tempo, ce qui occasionne des plantages narratifs majeurs, en littérature comme d'ailleurs au cinéma... Alors pour ce qui est de ce que j'ai ressenti en écrivant cette nouvelle est assez habituel pour moi, et très agréable : mettre des mots sur un rythme, donner une couleur à une pulsation, donner chair et vie à cette sorte de battement très mystérieux, au fond. Le plaisir d'écrire est intense, vous savez, même s'il est exténuant : il provient justement de notre "accord parfait", de notre accord intime avec le rythme, j'allais dire "avec le dieu Rythme".
Marie:C’était à la fois étrange et exaltant de penser que, presque simultanément, cinq auteurs écoutaient leur morceau préféré, qu’ils s’en imprégnaient pour ensuite laisser les mots inspirés courir au bout de leurs doigts. Je me suis amusée à l’idée que si l’on mélangeait toutes les chansons élues, cela aboutirait à une joyeuse cacophonie. Heureusement, le résultat sur le papier est tout autre. Pour finir, je dirais que, chose étonnante, les textes du recueil semblent reliés entre eux par une petite musique invisible, souterraine, comme lesMathématiquesque j’ai choisies, alors que nous n’avons pas été en contact les uns avec les autres…