Quelques oiseaux en mal de perchoir, squattent sa vielle capote percée et un vieux matou a élu domicile sur sa banquette arrière. Des canettes de red bull ainsi que d’étranges mégots jonchent son plancher, sûrement abandonnés par des gosses du quartier venu ici s’éclater à l’abri des regards. Les sièges sont déchirés et le pommeau du levier de vitesse est manquant. Des feuilles mortes, poussées par le vent ont trouvé refuge sous elle, à l’avant droit, une roue crevée, sans doute dû à un coup de lame mal intentionné, lui donne un air bancale. Un phare au verre brisé pendouille lamentablement. Deux amendes déposées sur son pare-brise attestent d’une surveillance particulièrement assidue de la police municipale. Sa présence en ces lieux est comptée, elle le sait bien. Ses ailes, le plancher côté chauffeur et ses bas de caisses sont mangés par une rouille vorace. Bien sûr, elle n’est pas seule, quelques grosses berlines prétentieuses appartenant à de petites frappes la traitent avec dérision. Il est vrai que sur le capot avant est écrit en lettres blanches « Fend-la-bise » Mais, il y a aussi de petites jeunettes qui l’entourent, auxquelles elle raconte ses aventures.
Sur sa lunette arrière, de vieux autocollants délavés par le soleil, relatent ses voyages de par le monde. Il faut dire qu’elle a bourlingué la vieille dame, mangé du kilomètre, bouffé de l’asphalte, respiré de la poussière, la cote méditerranéenne, l’Espagne, Barcelone, Gibraltar, Casablanca, Marrakech. Mais son plus beau souvenir ce fut Istanbul et la traversée en bac puis l’année suivante, l’étape mythique de l’époque, Katmandou avec deux jeunes hippies en mal d’aventures.
Maintenant, la voici abandonnée sur ce parking de la rue du piémont. Son propriétaire, un vieil homme est décédé le mois dernier. Ses enfants se disputent l’héritage et aucun ne veux bien évidemment de cette guimbarde délabrée. La vieille dame n’espère plus rien, si ce n’est la fourrière et une fin programmée en petit cube chez Derichebourg. Mais il y a parfois des miracles et sa plaque immatriculée dans le sept zéro lui sauva sans doute la mise.
Un p’tit gars passant dans les parages eut le regard attiré par cette plaque, lui-même de ce département, qui plus est, passionné de voitures anciennes. Après une petite enquête, sa proposition de rachat auprès des propriétaires, pingres jusqu’au bout des ongles fut acceptée, trop heureux de se débarrasser de cette vieille carcasse contre une petite somme rondelette.
Aujourd’hui, remise en état, « Fend le bise » déambule fièrement sur les routes de France et de Navarre, la peinture brillante, le phare rieur, la capote débâchée, sous le regard admiratif des badauds.
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