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Le meurtre de Rémi Fraisse vu par Edgar Morin

Par Sergeuleski

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   Dans le texte qui va suivre, Edgar Morin revient sur le meurtre de Rémi Fraisse, écologiste étudiant en environnement à Toulouse.

Une fois de plus, fidèles à eux-mêmes, les "commentateurs patentés de l'actualité" passeront à côté de l'essentiel ; il reviendra alors à Edgar Morin seul de voir dans ce décès de Rémi Fraisse la victime d’une guerre de civilisation : un productivisme forcené qui condamne notre avenir  - si par avenir on entend un monde encore vivable pour l'immense majorité, et plus encore pour les plus faibles d'entre nous -, contre une pensée d'une lucidité vivace et d'une connaissance des véritables enjeux socio-économiques et environnementaux.

   Avec Edgar Morin, encore lui ! la culture, l'intelligence et la clairvoyance triomphent de l'ignorance, de la bêtise et d'un aveuglement de petit-bourgeois égoïste et apeuré (1) et autres pauvres bougres cloîtrés dans une vie minuscule et nombriliste sans conscience ; de tout temps, symptôme d'une mort lente et sans profit pour personne puisque cette mort-là - ces morts-là ! -, ne laisse rien derrière elle.

***

   Qu'à cela ne tienne ! Qu'il soit permis ici de rappeler qu'avec ou sans gendarmes sur-armés pour protéger des élus aux ordres d'une raison économique mortifère - encore la mort ! toujours la mort ! -, et un projet obsolète dans ses finalités... que l'autoritarisme, voire le fascisme,  qui a pour seule origine une absence totale de compétence dans le domaine de la gestion de notre avenir social... eh bien... que cet autoritarisme-là ne passera pas !

1 - Majorité silencieuse que le désordre et le courage indisposent car ce courage-là, celui des militants, lui rappelle trop souvent sa propre lâcheté, son inconséquence et puis surtout : une ignorance crasse.  

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Le sociologue et philosophe Edgar Morin, le 20 octobre 2012.
   "... A l’image d’Astérix défendant un petit bout périphérique de Bretagne face à un immense empire, les opposants au barrage de Sivens semblent mener une résistance dérisoire à une énorme machine bulldozerisante qui ravage la planète animée par la soif effrénée du gain. Ils luttent pour garder un territoire vivant, empêcher la machine d’installer l’agriculture industrialisée du maïs, conserver leur terroir, leur zone boisée, sauver une oasis alors que se déchaîne la désertification monoculturelle avec ses engrais tueurs de sols, tueurs de vie, où plus un ver de terre ne se tortille ou plus un oiseau ne chante.Cette machine croit détruire un passé arriéré, elle détruit par contre une alternative humaine d’avenir. Elle a détruit la paysannerie, l’exploitation fermière à dimension humaine. Elle veut répandre partout l’agriculture et l’élevage à grande échelle. Elle veut empêcher l’agro-écologie pionnière. Elle a la bénédiction de l’Etat, du gouvernement, de la classe politique. Elle ne sait pas que l’agro-écologie crée les premiers bourgeons d’un futur social qui veut naître, elle ne sait pas que les « écolos » défendent le « vouloir vivre ensemble ». Elle ne sait pas que les îlots de résistance sont des îlots d’espérance. Les tenants de l’économie libérale, de l’entreprise über alles, de la compétitivité, de l’hyper-rentabilité, se croient réalistes alors que le calcul qui est leur instrument de connaissance les aveugle sur les vraies et incalculables réalités des vies humaines. C'est le caractère abstrait et anonyme de cette machine énorme, lourdement armée pour défendre son barrage qui a déclenché le meurtre d’un jeune homme bien concret, bien pacifique, animé par le respect de la vie et l’aspiration à une autre vie. Par l’entêtement à vouloir imposer ce barrage sans tenir compte des réserves et critiques, par l’entêtement de l’Etat à vouloir le défendre par ses forces armées, allant jusqu’à utiliser les grenades, par l’entêtement des opposants de la cause du barrage dans une petite vallée d’une petite région, la guerre du barrage de Sivens est devenue le symbole et le microcosme de la vraie guerre de civilisation qui se mène dans le pays et plus largement sur la planète. Partout, au Brésil, au Pérou, au Canada, en Chine… les indigènes et régionaux sont dépouillés de leurs eaux et de leurs terres par la machine infernale, le bulldozer nommé croissance. Dans le Tarn, une majorité d’élus, aveuglée par la vulgate économique des possédants adoptée par le gouvernement, croient œuvrer pour la prospérité de leur territoire sans savoir qu’ils contribuent à sa désertification humaine et biologique. Et il est accablant que le gouvernement puisse aujourd’hui combattre avec une détermination impavide une juste rébellion de bonnes volontés issue de la société civile. Pire, il a fait silence officiel embarrassé sur la mort d’un jeune homme de 21 ans, amoureux de la vie, communiste candide, solidaire des victimes de la terrible machine, venu en témoin et non en combattant. Il faut attendre une semaine l’oraison funèbre du président de la République pour lui laisser choisir des mots bien mesurés et équilibrés alors que la force de la machine est démesurée et que la situation est déséquilibrée en défaveur des lésés et des victimes. Ce ne sont pas les lancers de pavés et les ­vitres brisées qui exprimeront la cause non violente de la civilisation écologisée dont la mort de Rémi Fraisse est devenue le ­symbole, l’emblème et le martyre. C’est avec une grande prise de conscience, capable de relier toutes les initiatives alternatives au productivisme aveugle, qu’un véritable hommage peut être rendu à Rémi Fraisse."

LE MONDE |04.11.2014 à 14h38 - Edgar Morin 

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