Pascale Solana (Reporterre)samedi 8 novembre 2014
Pour venir il faut connaître. La microbrasserie se situe sur les hauteurs de Montreuil, en Seine-Saint-Denis, entre bretelle d’autoroute A186, immeubles en barres et en chantier, pavillons de banlieue disparates, un cirque et un camp de Roms.
Zone repérée. Pour y accéder réellement, il vous faudra encore pénétrer une friche industrielle, passer plusieurs vieux bâtiments d’usine en briques, longer un mur - oh du raisin ! les fameux « mûrs aux pêches », témoins des vergers d’autrefois de Montreuil - et tout au fond, juste à côté du préfabriqué vous la verrez, c’est le dernier bâtiment.
Devant l’entrée, des vélos, une table et deux bancs pour y boire un bock sur un pain-sauciflard lorsqu’il fait beau. Poussez la porte entrouverte, vue sur deux cuves métalliques brillantes, de la tuyauterie, vous y êtes. C’est La Montreuilloise.
Pour mousser de plaisir
En fait, le lieu commence à être connu de l’amateur de mousse. D’ailleurs, ce vendredi soir là, ils sont plusieurs, agenouillés devant des barriquets blancs, chacun appliqué à tirer et à mettre en bouteille leur propre brassin d’une vingtaine de litres. Chaque semaine, une petite dizaine de personnes, tous sexes, tous horizons et tous âges confondus, vient apprendre l’art de brasser auprès de Jérôme Martinez, le maître des lieux.
« Je me suis inscrite d’abord pour le plaisir, explique Sabrina, une jeune niçoise qui vient de retourner au pays après avoir vécu à Paris. J’ai un terrain avec des citronniers de Menton avec lesquels j’ai fait ma première bière ! » Camille tient le café bistrot Les Potes au feu dans le 20e arrondissement de Paris. À sa carte, une bière locale faite par son voisin de quartier qui a monté une microbrasserie, mais le restaurateur aimerait un jour proposer la sienne. Arthur, c’est pour sa propre consommation qu’il envisage de s’équiper un minimum, surtout pour concasser le malt d’orge, ingrédient de base. « J’ai une grande baignoire dans mon appart’. Et même une cave. Tout est possible ! »
- Jérôme Martinez -
Douze jours avant, en un samedi après midi, ils ont été initiés. Ils ont appris l’histoire de la bière, la germination de l’orge qui permet le malt, les houblons, fleurs qui donnent l’amertume, les épices pour parfumer, enfin et surtout les levures -sacchaomyces cervisae - rajoutées au final pour digérer le sucre du malt et sans qui la magie de la fermentation ne serait.
De marmites en tonnelets, ils ont chauffé, touillé, transvasé, laissé reposer, filtré, refroidi, retouillé, écumé, mélangé, soutiré, nettoyé, beaucoup nettoyé avant d’étiqueter le tonnelet avec leur noms et coordonnées qu’ils ont confié à Jérôme le brasseur jusqu’à ce jour.
« Au début ça ressemble à une grande bouillie dont on extrait progressivement le jus », témoigne Olivier, fier de soutirer sa première blonde ambrée. « C’est quand même assez complexe, et il faut beaucoup d’hygiène, du matériel, beaucoup d’eau. C’est fascinant mais je ne me vois pas faire ça dans ma cuisine ! »
S’inscrire en local
Stage et visite sont une des activités de Jérôme Martinez qui brasse aussi pour la vente directe. Sa vie de brasseur remonte à 2009. Il dirigeait une structure d’aide aux sans papiers et fréquentait l’association Le Sens de l’humus, un jardin urbain expérimental et éducatif d’inspiration permaculture et branché bio, en lien avec la brasserie.
C’est là qu’il apprend le métier jusqu’au jour où s’offre à lui la possibilité de rependre l’activité. Depuis, Jérôme brasse bio « par cohérence », et sous mention Nature et Progrès, « pour l’éthique et la charte » de l’association pionnière de la bio qui a un bureau à Montreuil.
Son malt bio vient de Pithiviers, autant que possible, ou de Belgique. En France, on est encore peu avancé sur la matière première biologique de la bière, et c’est la course au fournisseur, explique Jérôme. « Parfois on demande ma bière à Dijon ou dans le Lot, c’est sympa mais cela ne me semble pas logique ».
Il encourage alors ses interlocuteurs à chercher une bière régionale. Il dit aussi vouloir résister aux sirènes de la grande distribution pour qui sa bière artisanale et locale serait un produit d’appel permettant de caser tous les autres produits.
« Pas envie de la voir en tête de gondole ! » La microbrasserie s’inscrit dans le local, « Montreuil le permet » dit-il. D’ailleurs ici on peut payer sa mousse en « pêche », la monnaie complémentaire du coin.
- La "pêche", la monnaie complémentaire. -
Jérôme Martinez espère voir se monter une malterie bio en Ile-de-France pour permettre la torréfaction des grains et la maîtrise complète du produit. Il travaille aussi sur un projet collectif de recyclage des drêches, déchets organiques issus de l’activité avec une douzaine de microbrasseries d’Ile-de-France : « Il y en avait à peine trois il y a trois ans ».
Le métier jusqu’alors réservé aux grands groupes attire de plus en plus et selon le Montreuillois, il s’ouvre de plus en plus de petites brasseries chaque année en France. Robert Dutin qui suit le monde brassicole depuis plusieurs décennies en dénombre 590 dans son guide 2014 (Guide des brasseurs et bières de France, ed.MA).
Demain, peut-être deviendra-t-on microbrasseur comme on devient boulanger... Quoiqu’il en soit, le goût des bières artisanales prend un peu partout, en témoigne les nouvelles parutions zythologiques dont la dernière en octobre chez Hachette (guide), ou encore la Beer Week, la fête de la bière artisanale qui s’est déroulée fin mai à Paris. Pour cette occasion la 11, une bière « collaborative » élaborée par onze brasseries franciliennes a été brassée.
Nouveau métier
19h30 et des miettes. Un quidam à casquette arrive tout essoufflé d’avoir monté en vélo la côte jusqu’au plateau et interroge sur le choix du soir pour un dîner entre amis : brune, rousse, blonde, « stout » (méthode de fermentation anglaise), bière au cacao, au raisin ou à la fleur de sureau ?
Sabrina est impatiente de connaître le résultat de son dosage au limoncello, la liqueur de citron, mais pour goûter sa mousse il faudra encore attendre quelques semaines que les levures aient fini tout le boulot de digestion du sucre de malt et que le breuvage soit stable. Si c’est réussi, dit-elle, peut-être transformera-t-elle l’essai en activité professionnelle.
Comme l’ont fait après un stage effectué l’an dernier Pierre et Laurence, habitants de Pantin, banlieue voisine. Après avoir mis au point leur propre recette au cinquième étage de leur petit appartement, ces deux là ont trouvé une brasserie artisanale qui fait leur petite « Mousse à Zigui » toute bio qu’ils viennent de mettre en marché.
Source et photos : Pascale Solana pour Reporterre