Tout comme la boîte de Pandore, la cage malencontreusement ouverte d’où l’oiseau va ou vient de s’envoler est l’image d’une catastrophe, certes privée, mais tout autant irréversible, qui menace les vraies jeunes filles.
L’oiseau envolé (The Escaped Bird)
Willem van Mieris, 1687, Kunsthalle, Hamburg
La fille jette un regard noir sur l’oiseau noir qui vient de s’échapper, après avoir mis en miettes un biscuit rond sur la balustrade. Outre le gâchis, c’est la trahison du compagnon favori qui met la fille en colère : elle lui avait fait confiance en exposant son gâteau en plein air, il en profite pour prendre le large après trois coups de bec.
On comprend bien sûr qu’il ne s’agit pas que d’un bec : le fût de la colonne, l’église phallique à l’arrière-plan, nous l’indiquent clairement : de même que la tige pointue censée servir de système de fermeture, qui désigne le ventre de la fille.
Reperire, perire est
Emblème tiré de Jacob Cats, Proteus (1618)
Le thème était bien connu, popularisé par les livres d’emblèmes. La devise « Découvrir, c’est périr » est expliquée par le texte et par l’image :
« La boîte a été ouverte, l’oiseau s’est enfui. Oh Virginité, fleur fragile qui nous échappe si facilement. »
« De doos was op-ghedaen, de voghel was ontvloghen. Ach Maeghdoms, meeps gewas! dat ons soo licht ontglijt. »
Enfants jouant devant un groupe d’Hercule
Adriaen van der Werff, 1687 , Alte Pinakothek, Munich
Ce tableau charmant et complexe est, en fait, une leçon de morale qui dénonce le Vice et exalte la Vertu. Nous suivons ici l’analyse de E. de Jongh, 2008, « Tot lering en vermaak Betekenissen van Hollandse genrevoorstellingen uit dezeventiende eeuw » http://www.dbnl.org/tekst/jong076totl01_01/colofon.htm
Le groupe de droite
A l’arrière plan, à droite, une jeune fille assise dessine le paysage, en suivant les conseils du jeune homme debout à côté d’elle.
Le groupe de gauche
A gauche, une autre jeune fille tient un rouleau de papier à dessin, et un homme contemple la tête d’une statue : ce dernier thème étant repris d’un tableau moins ambitieux, dont le thème est l’enseignement des arts par les Antiques.
L’Atelier du sculpteur ou Allégorie sur l’éducation de la jeunesse,
Adriaen van der Werff, vers 1680, Louvre, Paris
Au centre, le jeune artiste au chapeau emplumé, au costume bleu et à l’épaule dénudée, vient d’abandonner la vie de futilité que dénoncent ses habits : dans une sorte d’extase, il découvre la Beauté Idéale de la sculpture antique – l’immense Gladiateur Borghèse - « sous l’égide de la petite Muse de la musique Euterpe, divinité inspiratrice mais aussi protectrice de l’éducation artistique » (notice du Musée)
Le groupe central
Dans la composition complète, le jeune artiste qui levait les yeux vers l’Idéal s’est scindé en deux enfants qui baissent leur regard vers le futile : l’épaule dénudée est allée à une très jeune fille, fort intéressée par l’oiseau qui pointe sa tête à la porte de la cage ; tandis que le costume bleu et le chapeau à plumes ont échu à un jeune blondinet, qui désigne l’oiseau du doigt en tenant, sous son autre main, une tortue.
La vertu en danger
La tortue pourrait symboliser la paresse de ces enfants qui laissent traîner par terre leurs cartons à dessin et perdent leur temps en futilités, au lieu de se passionner pour l’Antique. Mais, en pointant sa tête hors de sa carapace, elle constitue surtout l’antithèse de l’oiseau et de la cage : la prudence contre l’insouciance, la clôture contre l’ouverture.
La tête désolée de la Vénus Pudica – exemple classique de la Chasteté, est d’ailleurs posée juste sous la cage en signe de désapprobation. Nous sommes donc bien ici dans le symbolisme de la cage ouverte et de la virginité menacée.
Le chat
Car si un chat est bien présent - dans les bras du troisième enfant en chapeau à plume – il n’émarge ici à aucun symbolisme sexuel <voir Le chat et l’oiseau > et ne s’intéresse pas du tout à l’oiseau : plus sage que ses maîtres, il fixe le spectateur comme pour le prendre à témoin de ces gamineries qui menacent de dégénérer.
L’index
Mais l’index ne fait pas seulement le signe d’Harpocrate : il désigne aussi l’Hercule Vertueux qui, au-dessus, brandit sa massue contre le Vice.
Massue qui, compte-tenu des traînées sanguinolentes qui dégoulinent le long du socle, ne peut manquer d’évoquer un autre instrument et un autre saignement.
L’Oiseau échappé
Nicolas Lancret, début XVIIIème, Museum of Fine Arts, Boston
Dans une discrète chorégraphie, le négrillon imite les gestes de la dame : de la main gauche il montre la cage, elle pince sa robe pour signifier, à l’époque des robes à panier…
Illustration pour « Les contemporaines » – Rétif de la Bretonne, 1780
…l’analogie entre ces deux contenants.
Et tandis qu’elle présente sa main droite vers le haut en signe de disparition, il fait voleter la sienne en guise de potentielle consolation.
Femme et enfant, d’après l’Antique (recto)
Nicolas Fouché, fin 17ème début 18ème, Rennes, Musée des Beaux-Arts
Ce dessin combine deux thèmes : celui de l’oiseau échappé, et celui de la solution de remplacement, insinuée par l’Amour ailé caché sous la table :
une fois que la cage est ouverte, d’autres oiseaux peuvent y élire domicile.
Fille avec une cage à oiseaux assise sur un lit
Schall, fin XVIIIème, Victoria and Albert Museum
Ici le thème de la cage béante se combine avec un lit défait, un coffre ouvert, un sac jeté à terre, une boîte en carton défoncée.
Le coupable de tout ce désordre ? Sans nul doute le pelochon, en visible détumescence.
L’oiseau perdu (The lost bird)
Charles Chaplin, Bowes Museum,Barnard Castle,County Durham, England
Reprise du même thème : debout et en plus digne.
L’oiseau en cage (The Caged Bird)
John Byam Liston Shaw, 1907
En conclusion de cette série, revenons à une scène en plein air. A l’inverse de la jeune fille courroucée de Van Mieris, celle-ci suit avec émotion l’envolée de l’oiseau qu’elle vient de libérer de sa cage, dans les meilleures intentions.
L’ingénue ne remarque pas, derrière elle, les formes oblongues des buis taillés qui vont lui tenir compagnie désormais.