Où Bjarni Benediktsson, Ministre des Finances, rappelle le Premier Ministre à l’ordre :
dessin de presse
Doucement, Chef, tu n’as droit qu’à un demi sandwich aux crevettes et une gorgée de Coca-cola, plus la TVA , sinon tu dépasseras la limite de 248 Ikr !
248 Ikr (soit 1.63€) c’est en effet le coût moyen d’un repas TTC tel que l’estime le Ministère des Finances pour justifier le faible impact de son projet de majorer le taux inférieur de la TVA de 7 à 12%. Et tous les Islandais de s’interroger : comment Bjarni est il arrivé à un tel résultat ? Ne prépare-t-il jamais ses repas lui-même ? Jusqu’au Bureau des Statistiques qui croit utile de préciser que ce n’est pas son calcul !
Autre interrogation du mois : les 250 mitraillettes destinées à la Police et aux gardes-côtes et bloquées à la Douane sont elles ou non un cadeau de la police norvégienne ? Je reviendrai sur ce dernier point, car, au-delà de l’anecdote, il vient alimenter le climat de suspicion auquel les autorités se trouvent de plus en plus confrontées.
La situation économique et sociale
Pendant que le budget est en cours de discussion, incluant comme l’an passé des coupes drastiques dans les services publics, les résultats économiques sont dans la ligne des mois précédents : indicateurs macro économiques positifs, mais inquiétudes persistantes notamment pour la levée du contrôle des changes et le règlement des dettes consécutives à la crise.
Des perspectives très positives…
En 2013 et 2014, l’économie islandaise a réussi à trouver un équilibre rarement réalisé auparavant entre une inflation maîtrisée et un taux de change stable. Simultanément le chômage a poursuivi sa décrue pour à 4% approcher du plein emploi. La situation des ménages et des entreprises s’est sensiblement améliorée ; ainsi le pouvoir d’achat du salaire a augmenté en septembre de 0.8% – taux jamais atteint ce mois depuis 1989 –. Les prévisions sont elles aussi très bonnes avec un PNB progressant de 3.1% en 2014 (2013 = 3.5%), 3.2% en 2015 et 2.9% en 2016 (selon Íslandsbanki). Ces estimations prennent en compte un ralentissement du développement du tourisme et une place plus importante de la demande intérieure et de l’utilisation d’énergie.
Mais des inquiétudes…
Elles supposent aussi que soit résolu le problème du contrôle des changes, sur lequel tant le gouvernement que la Banque Centrale paraissent très hésitants. C’est ainsi que n’a toujours pas été autorisé le transfert, conformément à un accord pris en décembre 2009, de 228 milliards d’Ikr (1.3 milliard d’euros) de la « nouvelle » Landsbanki à l’ancienne qui permettrait à celle-ci de rembourser certains créanciers notamment à propos de Icesave.
Autre point d’inquiétude : le déficit des échanges commerciaux pour ce qui concerne les biens : 16.4 milliards d’Ikr de déficit pour le 9 premiers mois de 2014 : +2.7% pour les importations (443.2 milliards d’Ikr) mais 6.2% pour les exportations (426.8 milliards d’Ikr), malgré une balance positive en septembre (139 millions d’Ikr). Ce sont surtout les produits de la pêche qui ont diminué (-11.9%). La progression des importations concerne pour l’essentiel les bateaux et les voitures, alors que l’importation de produits bruts et de biens d’investissement diminue, ce qui n’est pas une bonne tendance. Bien sur, l’excellente saison touristique se soldera par une balance des services très largement excédentaire conduisant à un excédent commercial. Au vu de l’ensemble de ces tendances, le taux de base bancaire devrait être maintenu à 6%.
Conséquences sociales
La progression de l’activité a nécessairement un effet positif sur l’emploi : le chômage est à 4% pour le 3ème trimestre 2014, à comparer à 4.4% pour le même trimestre de 2013. De plus, pour ces mêmes trimestres, l’horaire moyen travaillé est descendu de 41.8 heures hebdomadaires à 41.1 heures ; ceci concerne surtout les personnes travaillant à temps complet (de 45.9 à 45.3 heures). Ce peut être un effet des nombreux accords signés en début d’année qui, pour rester dans la limite de 2.8% d’augmentation, prévoyaient de sensibles réductions du temps de travail.
Pourtant l’agitation s’annonce forte. Au moment de la rédaction de cette chronique les médecins hospitaliers viennent
Kristján Þór Júlíusson
de se mettre en grève, ainsi que les professeurs de musique. Les premiers sont très mécontents de leur niveau de rémunération, tel que beaucoup émigrent et que leur nombre sur l’île est maintenant jugé insuffisant. Sont aussi en cause leurs conditions de travail, très affectées par les coupes budgétaires, et les tergiversations autour de la construction d’un nouvel hôpital. Selon Sigurveig Pétursdóttir, Présidente du Syndicat des Médecins, le salaire de base d’un médecin débutant est de 340000 Ikr (2200€) auquel s’ajoutent les gardes et les heures supplémentaires ; le syndicat demande une revalorisation de 30%. Kristján Þór Júlíusson, Ministre de la Santé (Parti de l’Indépendance) reconnaît le problème mais se dit surpris que les médecins aillent jusqu’à la grève : il propose 3%. De son coté l’ASÍ (Confédération des syndicats de salariés) se prépare à une négociation difficile de l’accord national. Les syndicats qui la composent ont difficilement avalisé les 2.8% acceptés en novembre 2013 par leur direction afin de ne pas relancer l’inflation ; ils ont notamment constaté que certaines organisations n’appartenant pas à l’ASÍ (enseignants, salariés du transport aérien…) avaient obtenu plus qu’eux soit en salaires, soit en réduction du temps de travail ou autres compensations. Gylfi Arnbjörnsson, nouvellement réélu à la tête de la confédération, ne se montrera pas si accommodant !
L’actualité politique
Mais y a-t-il eu une actualité politique en octobre 2014 ? Depuis quelques mois les dirigeants politiques n’interviennent plus que pour se dire « surpris » : surpris Kristján Þór de la grève des médecins, surpris Bjarni que l’on ne puisse pas manger pour moins de 250 Ikr par repas, surpris Sigurður Ingi (Pêche et Agriculture – Parti du Progrès) des réactions négatives à sa décision de transférer le Bureau de la Pêche à Akureyri, surpris encore Gunnar Bragi (Affaires Etrangères – Parti du Progrès) et tous ses collègues du gouvernement face aux manifestations en faveur d’un référendum sur la négociation d’adhésion… Il y a comme un véritable découplage entre une vie économique qui trouve avec succès sa propre dynamique et une vie politique loin du réel et qui semble avoir peur de se manifester ! Et entre les deux une vie sociale qui tente d’inventer discrètement ou bruyamment les ajustements nécessaires… Ce constat n’est pas nouveau. J’ai relevé ici, avec le précédent gouvernement, ce même découplage entre une vie économique qui retrouvait sa dynamique plus vite que prévu et des ministres cette fois trop bruyants et étalant à plaisir leurs divergences. Les deux partis alors au pouvoir ont payé celles-ci très cher, tout comme le Parti de l’Indépendance et surtout le Parti du Progrès risquent de payer cher leurs « surprises ». Les sondages en effet sont mauvais. Seules 33% des personnes interrogées soutiennent l’action du gouvernement (sondage Gallup).
Deux « scandales » illustrent cette situation : fin septembre l’Autorité de la Concurrence inflige une amende de 370 millions d’Ikr au groupe MS (Mjólkursamsalan) pour abus de position dominante. MS, fondée en 1935, est une coopérative associant tous les producteurs de lait (environ 700) ; ceux-ci lui fournissent leur lait à un prix fixé par une commission ad hoc sous les auspices du Ministère de l’Agriculture. MS a plusieurs filiales qui commercialisent des produits fabriqués à partir du lait qu’elle leur revend. L’abus vient de ce que MS facture son lait moins cher à ses filiales qu’aux autres fabricants de produits laitiers. Ce système, conforté en 2005 par Guðni Ágústsson, alors Ministre de l’Agriculture et aujourd’hui important député du Parti du Progrès, est évidemment très avantageux pour les producteurs de lait et apporterait à ceux-ci une rente significative ; il le serait aussi pour un certain nombre de personnalités gravitant autour du Parti du Progrès. Sigurður Ingi Jóhannsson, l’actuel ministre, lui aussi de ce parti, est très embarrassé ; surpris ?
Voici à droite la photo qui tout à coup envahit la presse islandaise après une révélation du quotidien DV : la police et les gardes-côtes auraient acquis 250 de ces appareils, dont 150 pour la police, auprès de l’armée norvégienne qui se préparait à les changer pour de plus performants. La surprise est grande : ainsi la police islandaise aurait des mitraillettes ? Oui, depuis 1932 ! Elle envisagerait d’en mettre une dans chaque voiture de police ? Pour Dagur Eggertsson, Maire de Reykjavík, c’est hors de question ! Les responsables de la police sont dans l’embarras : ce serait, affirment-ils, un don de l’armée norvégienne. Ce que celle-ci refuse de confirmer ! Faute de facture pour calculer la TVA et les droits de douane, les armes sont retenues par la douane… Hanna Birna Kristjánsdóttir, Ministre de l’Intérieur, se contente de préciser que de tous temps la police et les gardes-côtes ont décidé seuls de leur approvisionnement en armes. Gunnar Bragi Sveinsson, Ministre des Affaires Etrangères et aussi en charge du commerce extérieur, se tait.
L’institut de sondage MMR publie le 28 octobre un sondage « satisfaits/insatisfaits » qui mérite quelque attention : en haut de l’échelle la Police (80% de satisfaits/7% d’insatisfaits) et l’Université d’Islande (70/6.5), au milieu les collectivités territoriales (32/32) en bas le secteur bancaire (10/67 ) et l’Alþingi (13/55) le gouvernement est à 17/63, mais l’opposition n’en profite guère : 22/45. Ce qui surprend les observateurs est la place de l’Union Européenne, citée on ne sait pourquoi parmi les institutions de l’île : 25% de satisfaits/42% d’insatisfaits, soit mieux que le gouvernement et l’opposition et à quasi égalité avec la Banque Centrale (25/39) !
Relations extérieures
Höskuldur Þórhallsson
De l’UE il est très peu question en octobre, comme si le gouvernement retenait son souffle avant de mettre la motion d’arrêt des négociations à l’ordre du jour de l’Alþingi. Le 2 octobre Gunnar Bragi Sveinsson a réuni à Harpa 130 consuls d’Islande dans 57 pays (en France 7 consuls honoraires), le 15 il a rencontré à Brasilia son homologue brésilien, Luiz Alberto Figuereido ; à l’ordre du jour la volonté d’accroître les échanges commerciaux entre les deux pays, le 27 Gunnar Bragi s’est rendu en Finlande et a rencontré Erkki Tuomioja et Lenita Toivakka, respectivement Ministre des Affaires Etrangères et Ministre du Commerce Extérieur. Il était aussi présent à Turku pour une réunion de dirigeants d’entreprises des deux pays, le 29 octobre a débuté à Stockholm la session annuelle du Conseil Nordique. Höskuldur Þórhallsson, député du Parti du Progrès, en a été élu président.
Activités culturelles
- le 15 octobre Stefán Máni Sigþórsson a été primé au Festival du Polar Méditerranéen (Avignon) pour son troisième roman « Présages » (Feigð),
- le 18 octobre a eu lieu la « première » de Don Carlos (Verdi) dans la grande salle de Harpa, dans une mise en scène de Þórhildur Þorleifsdóttir,
- le 20 octobre au Théâtre National autre « première » : celle de « Karitas » d’après le livre de Kristín Marja Baldursdóttir largement célébré en France, en préalable à la réunion du Conseil Nordique, des prix ont été attribués, dont deux sont revenus à l’Islande : Prix du Film, attribué pour la première fois à un film islandais : « Hross í oss » (des Chevaux et des Hommes) de Benedikt Erlingsson, Prix de l’Environnement attribué à la ville de Reykjavík.
Pendant ce temps la vie continue…
- Et d’abord des nouvelles de Bárðarbunga… Il va bien ! avec des secousses sismiques dépassant souvent le niveau 5. Holuhraun, sa fissure éruptive, continue de cracher des gaz toxiques qui se distribuent ensuite selon les vents dominants ; quant à la lave, elle couvre maintenant 65km²…
- 25/10 : Vilhjálmur Árnason, député du Parti de l’Indépendance croyait glaner quelques voix pour son parti en faisant voter une loi autorisant la vente d’alcool dans les supermarchés ; las, un sondage montre que 70% des électeurs sont opposé à ce projet. Ira-t-il jusqu’au bout ? Il est vrai que quelques jours auparavant 16 lycéens ont été exclus de leur établissement – « Verzló » l’un des plus prestigieux du pays – pour consommation d’alcool dans les locaux !