Attendu comme le Messie, le nouveau film de Christopher Nolan, actuel maître du blockbuster, est sorti en salles depuis mercredi. Tient-il toutes ses promesses ?
Lorsqu’il tourne, en 1998, Following, son premier long-métrage, Christopher Nolan est sans doute loin de s’imaginer que d’ici une dizaine d’année il s’imposerait comme l’un des réalisateurs les plus prolifiques de son époque. C’est en 2000, grâce à Memento, son deuxième film, que tout démarre. Ce dernier rencontre un fort succès critique tandis que Nolan n’est pas encore à son heure de gloire. En France, Memento n’enregistre alors qu’un peu plus de 200 000 entrées. Mais le bon accueil de la presse profite au réalisateur. Son film, intelligemment construit et monté, remporte deux statuettes lors de la cérémonie des Oscar, soit le prix du meilleur scénario original, et celui du meilleur montage. Les studios se tournent alors vers Nolan, et lui permettent à présent de tourner avec de grands noms, grâce à un budget plus conséquent : pour Insomnia (2002), Nolan aura le privilège de réunir face à face, sous sa caméra et sa direction, Robin Williams et Al Pacino. Mais sa popularité montera en flèche lorsqu’il réalisera The Dark Knight, le deuxième volet d’une trilogie qu’il a commencé trois ans avant, avec Batman Begins. La prestation époustouflante d’Heath Ledger et la mise en scène hyper dynamique et suffocante du cinéaste feront alors s’exciter les critiques. A la sortie d’Inception, pour lequel il foule les tapis rouges des différentes avant-premières en compagnie d’un luxueux casting – dont fait alors partie la « superstar » Leonardo Dicaprio – le nom de Christopher Nolan dépassera cette fois les colonnes des magazines de cinéma pour devenir la référence du blockbuster et du grand spectacle. Grâce à des scénarios intelligents et mûrement réfléchis, Nolan est parvenu, au cours de sa filmographie, à convier deux publics aux préférences en général radicalement opposées : les cinéphiles, et les amoureux de sensations visuelles. Il faut avouer que l’alliage entre spectacle et qualité est perle rare dans une industrie où bénéfices et entertainment priment. Suite à ce succès, aujourd’hui, les grands studios hollywoodiens peuvent quasiment donner carte blanche au réalisateur, et lui accorder désormais de tourner des films avec un budget colossal, sans grand risque de perdre en recettes. A titre d’exemple, Inception aura coûté plus de 160 millions de dollars (environ 130 millions d’euros) aux producteurs, mais leur en aurait rapporté plus de 800 millions (640 millions, en euros). Christopher Nolan serait donc devenu la poule aux œufs d’or des studios.
Il n’est donc pas difficile d’imaginer qu’Interstellar soit, depuis l’annonce du projet, déjà plus attendu que le Messie. Et pour cause ! Passionné par les mises en abyme, les déformations spatio-temporelles et les univers labyrinthiques, Nolan avait de quoi faire baver un public friand avec un titre évoquant la conquête spatiale. Des mois plus tard, le film sort sur nos écrans, en novembre, loin de toute franche concurrence au box-office, et une partie de la presse s’enflamme. Interstellar serait le chef-d’œuvre de Nolan, à la fois virtuose, lyrique et d’une portée sans limite. On lit même que le cinéaste aurait réalisé son propre 2001, l’odyssée de l’espace.
Interstellar est basé sur des fondements scientifiques (trou de ver, trou noir et relativité sont entre autres au programme). Pourtant, le film ne peut être jugé pour son exactitude et sa rigueur. De nombreuses clés sont basées sur de simples spéculations et sur l’imagination du cinéaste, ne serait-ce par exemple la forme physique d’un trou noir ou l’existence d’une gravité négative. Il faut donc voir l’oeuvre avant tout comme un spectacle cinématographique, et non une exposition cartésienne de faits, en notant toutefois l’audace de Christopher Nolan d’inclure dans son œuvre des faits de science exigeants, les étoffant et les adaptant au scénario, puisque ceux-ci restent eux-mêmes encore assez flous pour la communauté scientifique. De ce fait, il faut avouer qu’Interstellar est un film de plutôt grande composition. Pourtant, il ne révolutionne pas le genre. Comme le promettait la campagne marketing gravitant autour du film, ce dernier n’éclate pas vraiment les codes de la SF. Interstellar n’est, pendant une très longue partie, qu’un film de science-fiction classique, possédant une envergure certes plus ambitieuse que d’autres films sur le sujet. Les thèmes récurrents au genre (la fin de la vie sur Terre, l’extinction de l’espèce humaine et la recherche d’un nouveau monde à coloniser) n’échappent en effet pas à Interstellar. L’œuvre n’endosse une dimension plus lyrique et psychédélique que dans sa dernière demi-heure, où l’on retrouve alors, et enfin, la signature du réalisateur, l’upercut scénaristique et la jouissance visuelle que l’on attendait impatiemment jusque-là. Interstellar pèche donc dans la longueur de son installation, dont certaines séquences auraient pu être largement raccourcies voire supprimées au profit d’une meilleure sculpture des personnages. Nous sommes assez loin de nos exigeantes attentes induites par une surmédiatisation qui promettant la véritable claque cinématographique de Nolan et un renouveau du genre. Interstellar est « seulement » un grand film de science-fiction. Au fond, c’est déjà bien.