A partir de 1858, Wagner se rendit à plusieurs reprises dans cette ville, le chant des gondoliers lui ayant inspiré la mélodie du pâtre de Tristan.
C’est là que Richard Wagner s’est installé à la fin du mois d’août 1858, proscrit fuyant l’Allemagne et le mandat d’arrêt lancé contre lui pour ses sympathies anarchistes, renégat conjugal dont le mariage moribond avec Minna vient de recevoir le coup fatal de sa liaison avec Mathilde Wesendonck. « … le 29 août 1858, j’arrivai à Venise.
Durant le parcours du Grand Canal jusqu’à la Piazzetta, impression de grande mélancolie : grandeur, beauté et décadence, tout cela voisin l’un de l’autre« .
« Ici s’achèvera Tristan - malgré les tourmentes du monde », note-t-il dans son journal.
Il s’installe à son arrivé à l’hôtel Danieli, mais très vite, il trouve une demeure qui lui convient mieux : le palazzo Giustinian Brandolini D’Adda qui donne sur le Canal Grande dans le sestière de Dorsoduro.
Dans la ville italienne dont le « climat et l’air sont divins », dans l’isolement et le calme, Wagner compose le deuxième acte de Tristan. Il écrit à Minna : « Je travaille toute la journée jusqu’à 4 heures (…). Puis je traverse le canal, vais place Saint-Marc où, vers 5 heures, je retrouve Karl [Ritter] au restaurant. Après le repas, nous allons en gondole au jardin public » (lettre du 28 septembre 1858).
Wagner affectionne aussi les glaces au café Lavena, les deux grands lions de l’Arsenal, qu’il surnommera Fasolt et Fafner, comme les deux géants de sa Tétralogie.
La salle de réception du piano nobile du palazzo Giustinian Brandolini D’Adda, cet imposant palais gothique vénitien du XVème siècle, aussi grande que la scène de la Fenice, est à la mesure des ambitions wagnériennes. Dans la chambre à coucher, sous les fresques de Tiepolo, le compositeur a fait venir son piano de Zurich. Nuit après nuit, il met en notes l’ivresse passionnée des étreintes adultères de Tristan et Isolde.
Un jour, vers les 3 heures du matin, il entend sur le Grand Canal l’ancien chant des gondoliere rebondir de place en place. Ce chant lui inspirera, dit-il, la mélancolique cantilène du pâtre qui ouvre le troisième acte de Tristan d’un long et lancinant solo de cor anglais.
Wagner n’y achèvera pas Tristan : il a dû quitter Venise le 24 mars 1859 alors que les troupes autrichiennes s’apprêtaient à marcher contre Garibaldi.
Le 21 août 1859, Richard Wagner et Cosima von Bülow s’installent à Sienne où, deux jours plus tard, ils retrouvent leurs enfants. La famille a loué la villa Fiorentina, dans laquelle on disait que le pape Pie IV avait dormi. Cette propriété magnifique était du goût de Wagner. Son lit était si grand qu’un jour, il avait dit à Cosima « Non seulement le pape, mais tout le schisme aurait pu dormir dans ce lit« .
Le 4 octobre ils reprirent leur voyage à destination de Venise où ils restèrent jusqu’à la fin du mois dans le même palazzo Giustinian Brandolini D’Adda.
Cosima von Bülow était la femme d’un fervent partisan de Wagner : Hans von Bülow, le chef d’orchestre qui avait dirigé la création de Tristan. Fille de Franz Liszt et de la célèbre comtesse Marie d’Agoult, elle était de 24 ans la cadette de Wagner. En avril 1865, elle accoucha d’une fille illégitime qui fut prénommée Isolde.
En 1862, Wagner se sépara de sa première épouse, l’actrice Minna Planer. Mais il continua de la soutenir financièrement jusqu’à sa mort, en 1866 (ou du moins ses créanciers le feront-ils).
En octobre 1867, Cosima réussit finalement à convaincre son mari d’accepter le divorce. Le 25 août 1870, elle épousa Wagner qui, quelques mois plus tard, lui offrit l’Idylle de Siegfried à l’occasion de son anniversaire.