Lorsque l’on parle d’Emil Amos, on pense tout de suite à Grails, ou plus récemment à Lilacs & Champagne. Mais il faut savoir que Holy Sons est son tout premier et donc plus ancien projet musical. Projet dans lequel Emil s’épanouira en y interprétant tous les instruments et en maîtrisant chaque aspect de la création, de la composition, du mixage et à la production. C’est à l’occasion de la sortie de son nouvel album, « The Fact Facer », que Emil Amos a accepté de nous rencontrer.
Quelles sont les origines de Holy Sons ? Comment as-tu eu envie de monter ce projet ?
Après avoir joué dans un groupe de hardcore quand j’étais jeune, j’ai fini par perdre mes illusions sur toute l’infrastructure qui vient avec le fait d’être dans un groupe et de devoir amener des idées à travers l’égo du groupe. Il existe certains types de musiques qui peuvent s’épanouir dans le contexte d’un groupe de rock, mais les instincts plus personnels de chacun des musiciens peuvent aussi se diluer simultanément. Ça ne me paraissait plus très excitant de m’engager encore dans la même histoire d’un groupe de rock. Il me paraissait plus judicieux d’inventer un monde sonore imaginaire dans lequel je pourrais vivre seul. Donc j’ai commencé à enregistrer à la maison et à développer une méthode de travail où je jouais tous les instruments moi-même en utilisant un « quatre-pistes ».
Quel est ton processus de composition ?
Une grande partie se passe avant même que je m’habille le matin… En d’autres mots, je ne veux pas trop savoir ce que je suis en train de faire. Ça revient à avoir confiance dans le fait que tout ce qui est contenu dans ton inconscient va se ré-assembler tout seul de manière intéressante avant que l’égo ait la chance de se réveiller et d’essayer de reprendre le contrôle de tout le procédé. En général les enregistrements sont faits quand je ne suis pas encore préparé. Ce qui est plutôt une bonne chose. Ensuite 50% du contenu artistique prend forme quand je commence à mixer.
Tes projets musicaux sont nombreux, Holy Sons, Grails, Lilacs & Champagne, Om. Comment trouves-tu le temps pour composer ? Aimes-tu composer en tournée ?
C’est devenu plus difficile de gérer le temps ces dernières années, mais je peux compter sur mon envie d’essayer de nouvelles choses et mon addiction à la musique en générale, qui ne semble jamais s’atténuer. Il n’y a vraiment pas le temps d’écrire en tournée. La solution la plus fiable c’est encore de partir en vacances dans un endroit calme quand j’ai du temps, ça fonctionne toujours.
« The Fact Facer » dispose d’une production plus « travaillée », moins brute que tes albums précédents. L’évolution du son de Holy Sons s’est-elle faite naturellement ?
C’est une obligation pour un artiste de trouver des nouveaux moyens de dire ce qu’il pense. C’est un peu comme aiguiser un couteau philosophique. Au final, je ne pense pas que mes nouvelles méthodes soient meilleures que les anciennes, mais globalement j’ai beaucoup appris et je suis maintenant plus efficace et plus flexible en général. Au bout du compte si la chanson est géniale, le moyen d’expression n’est pas si important.
Difficile de ne pas penser à des artistes folk comme Bonnie Prince Billy en écoutant cet album, Fait-il partie des artistes qui t’ont ou t’inspire toujours. Quels sont les autres artistes qui t’inspirent ?
Will Oldham et Bill Callahan ont vraiment symbolisé le changement pour les jeunes qui s’intéressaient au lo-fi dans les années 90. Des albums classiques comme « Red Apple Falls » ne peuvent pas s’écrire à travers les livres d’histoire. Ceci étant dit, toute leur musique reposait fermement sur les épaules de la musique folk qui avait été faite avant et à partir de laquelle nous nous sommes tous inspirés. Je pense que nous avons tous eu des phases d’écoute intensive de Fred Neil, Leonard Cohen et de tous les albums classiques des années 60 et 70 qui ont pavé la voie pour nous.
Est-ce toi qui réalise les visuels de tes disques et si oui, qu’est ce qui t’inspire lors de la conception de ces visuels très « rétro » ?
J’ai lu un livre au lycée qui s’appelait “The Outsider” par Colin Wilson où il décrit un personnage intemporel à partir de différents livres classiques qui incarne parfaitement le héros marginal et mal-aimé. Dans ce sens je pense que mes pochettes d’album ont toutes quelque chose de solitaire et d’obstiné qui s’accorde bien avec la sensibilité musicale.
A travers tous tes projets, on peut sentir de nombreuses influences, peux-tu nous donner 3 albums qui t’ont marqué ou ont influencé ta musique dans Holy Sons ?
L’album “Überfällig” de Günter Schickert a changé ma façon de voir la « musique future » comme un paysage sonore plus intérieur. « Revolver » des Beatles reste un tournant décisif dans l’avènement des compositeurs-interprètes de ce siècle. Et dans un sens plus moderne, « Freed Man » de Sebadoh m’a fait prendre conscience de ces mêmes libertés musicales quand j’étais jeune.
Difficile de parler de Holy Sons sans parler de Grails. La sortie de « Deep Politics » a montré une véritable évolution dans la musique du groupe, la rendant plus « progressive », voire cinématographique. Comment cette évolution a-t-elle eu lieu ?
C’est surtout parce que nous sommes devenus très à l’aise avec les ordinateurs ces dix dernières années. En 2003 sont sortis « The Burden of Hope » de Grails et « I Want to Live a Peaceful Life » de Holy Sons et ces albums étaient définis par un côté organique et un processus de mixage entièrement analogique. Mais on se heurtait à un mur esthétiquement et nous voulions avoir encore plus de contrôle sur « la science » que nous étions en train de faire. Quand j’ai transféré tous les trucs lo-fi que je savais faire sur ordinateur, nous avons été capables de créer un son nouveau que tu peux entendre sur « Black Tar Prophecies » et « Decline of the West ». Ces nouvelles possibilités m’ont donné une nouvelle sorte d’énergie et l’ordinateur au final m’a permis de continuer à aller toujours plus loin sur le plan sonore.
Le volume 5 de « Black Tar Prophecies » étant sorti, peut-on s’attendre à la venue d’un nouvel album du groupe ?
Maintenant que l’on a complété toutes les tâches qui étaient au programme pour nos autres groupes, c’est enfin le moment de commencer à travailler sur le nouvel album de Grails. Comme d’habitude, ça va sonner un peu différemment étant donné que nos goûts évoluent constamment.
Lilacs & Champagne montre quant à lui ton intérêt pour le sampling. On peut même ressentir une influence hip-hop dans les albums du groupe. Est-ce le cas ? Es-tu branché hip-hop ?
Tout cela était aussi un prolongement de la liberté que nous ont apporté les ordinateurs. Au plus tu approfondis l’art véritable du mixage, au plus tu vas aller purement dans le son en tant que son propre monde de textures et sa propre science. Et la production hip-hop a complètement adopté ce concept depuis le début des années 80. En tant que batteur et quelqu’un qui a grandi en faisant des mixtapes, ce style vient juste naturellement.
Comment vous est venue l’idée à Alex Hall et toi de monter un tel projet ?
Grails nous a rendu accro à la liberté totale, alors nous avons voulu aller encore plus loin et faire des chansons à partir de sources bizarres et être capable d’avoir plus le sens de l’humour en général. Et puis après avoir écouté le même bon vieux Krautrock depuis des années, c’est juste logique d’entendre ces mêmes influences dans les albums de Madlib.
Pour finir, parlons de Om. Qu’est-ce que cela fait quand Al Cisneros te propose de faire partie d’un groupe aussi mythique que Om ? As-tu hésité avant de dire oui ?
Al m’a appelé un jour pendant que j’étais au travail et au début je me suis dit que je ne pourrais jamais jongler avec 3 groupes en tournée tout en ayant un travail à côté. Mais j’ai fini par quitter mon travail et j’ai réalisé que c’était la meilleure chose que j’ai pu faire.
J’imagine que tu dois avoir une tonne de projets en vue ? Peux-tu nous dire ce qui t’attends maintenant ?
Avec Om, on essaie de finaliser un nouvel album et je suis en train de préparer 3 albums différents de Holy Sons en ce moment. Mais l’album de Grails va devenir bientôt une très grosse priorité. Pendant ce temps, nous avons des tournées de prévues pour tous les groupes dans différentes parties du monde. Ça ne finit jamais…
« The Fact Facer » est disponible chez Thrill Jockey.