d'après JOUR DE FÊTE de Maupassant
J’étais parti pour fuir la fête,
La fête,
Odieuse,
Et tapageuse,
La fête à étendards
Qui crèvent les yeux, la fête à pétards
Qui déchirent les oreilles.
Être seul, tout à fait seul,
N’entendre personne répéter
Des stupidités,
Ne voir aucune tête connue
Dont on pressent les pensées,
Dont on attend les réflexions rebattues
Et les mots d’esprit si peu amusants,
Est pour l’âme un véritable bain frais
Particulièrement reposant.
Qu’importe où j’allais !
Je suivais à pied
Le bord d’une rivière.
L’eau y coulait
Vive et claire.
De loin en loin, un bâton mince et long
Indiquait qu’un pêcheur se blottissait
Derrière un buisson.
Qui sont ces hommes
Dont le seul désir, en somme,
Consiste à garder
L’œil fixé sur un bouchon
Pendant des jours entiers,
Accroupis au pied
D’un saule ou d’un peuplier,
Avec l’espoir que morde un petit poisson ?
Là, ils oublient tout,
Épouse, sœurs, frères,
Enfants, soucis, affaires
En regardant dans le remous
Ce petit flotteur qui remue.
Est-il possible que des bourgeois parvenus,
Des artistes d’intelligence
Passent leurs dimanches à désirer
De toutes leurs espérances,
Cueillir dans l’eau, avec une pointe d’acier,
Un minuscule poisson
…Que jamais ils ne prendront ?
En m’approchant, la ville grandissait.
Je distinguai bientôt
Des drapeaux.
La fête, j’allais la retrouver.
Tant pis !
Au moins, je ne connaissais personne ici !
Je couchai à l’hôtel du Lion d’Or.
Des coups de canon m’ont réveillé dès l’aurore.
Sous prétexte de célébrer la liberté,
On vous force à vous lever !
Je sortis. La ville était en gaité.
Les bourgeois allaient et venaient.
Heureux, ils regardaient les drapeaux !
On s’était levé pour la fête, bravo !
Le peuple
Était en fête.
On lui avait dit qu’il serait en fête
…Il était en fête, le peuple !
Il était content, il était satisfait.
Jusqu’au soir, il demeurerait ainsi,
En allégresse, par ordre de l’autorité.
Et demain ce sera fini.
Ô l’humaine bêtise !
La ridicule bêtise !
La bêtise aux faces indéfinissables,
Aux métamorphoses innombrables.
On se réjouit avec des drapeaux,
Pourquoi
Cette joie ?...
Pour célébrer un emprunt nouveau ?
Pour fêter notre incertaine liberté ?
Les orphéons mugissaient,
Les artifices crépitaient,
La foule s’agitait, vociférait.
Et tous les rires avaient l’expression
De la même stupide satisfaction.
Tout ceci m’était intolérable,
Insupportable.