Imaginez-vous que, pas plus tard qu’hier, j’avais dans l’idée de concocter un plat de délicieuses pâtes gratinées au four, pâtes couvertes d’une croûte épaisse, légèrement brunie de ces délicieux fromages italiens qui portent les noms enchanteurs de «Parmigiano reggiano » ou encore « Pecorino Romano “, par exemple.
C’est lorsque j’ai vu les prix astronomiques de ces produits chez « l’épicier du coin» dans notre quartier de Brooklyn, que j’ai eu comme une envie, une démangeaison irrésistible de prendre les armes et le maquis.
N’étant pas très courageux de nature, à la place de ce geste héroïque j’ai acheté comme substitut, un petit bloc vaguement orangé de ce « fromage » américain répondant au doux nom de CHEDDAR.
Le résultat me demanderez-vous ?
Le résultat est, que si j’avais été plus courageux, j’aurais dû prendre les armes. Une merde ! Une honte ! Une (censuré !) un (encore censuré !)
Et dire qu’il n’y a pas un mois de ça…
Au marché des Vans, délicieux village ardéchois, un samedi matin, jour de marché je fus attiré par un drôle de stand tenu par une petite femmelette de rien du tout, essayant de vendre des drôles de fromage de chèvre qui ne ressemblaient à rien de connu.
Des sortes de tomes à la croûte rosée ou grise et veinée, comme parcourue par une colonie de petites araignées droguées et mal élevées.
J’engageais la conversation avec cette curieuse petite dame qui me fit goûter ses drôles de fromages au goûts si étranges et, disons le tout de suite, ces fromages étaient une véritable révolution de Palais !
« Celui-ci, je l’ai appelé le « Balzac » car il possède un esprit costaud et un peu rondouillard. Celui-là, je l’ai baptisé le « Ségur » en hommage évidemment à la fameuse comtesse de Ségur. Il est plus doux, plus crémeux mais possède une toute petite dose d’impertinence cachée ».
Au cours de la conversation qui suivit, cette charmante dame m’avouait qu’elle avait été pendant longtemps professeur de littérature et, prise d’une passion soudaine pour la vie au grand air elle avait élue domicile sur le plateau ardéchois, et s’était vite entourée de ses « filles », une douzaine de chevrettes d’une race presque oubliée.
« Elles donnent moins de lait que les chèvres utilisées normalement pour faire des fromages, mais elles sont magnifiques et le lait qu’elles nous donnent a la rareté d’une perle de l’océan ! » dit-elle en me montrant des photos de ses protégées.
Et puis, un jour, elle me glissa en douce qu’elle concoctait un nouveau fromage qui devrait être prêt pour la mi-septembre, juste avant notre grand départ pour Brooklyn.
« J’y travaille assidûment » me dit-elle
« Vous devriez le baptiser le « Alphonse » à cause d’Alphonse ALLAIS (un de mes auteurs favoris, qui s’excusait de venir dîner sans sa femme en disant tout haut : “Elle a mal aux parties génitales. » Qui dit mieux ???) .A -lait-de-chèvres ! » ajoutait je malicieusement.
Séduite par l’idée, elle me donna rendez-vous ce samedi matin au marché et me tendit un petit paquet contenant le prototype, le fameux « Alphonse » que nous devions déguster toutes affaires cessantes.
Évidemment superbe, cet Alphonse !
Et le Samedi suivant, pour la remercier de ce cadeau princier, je lui fis cadeau d’un de mes livres préféré du grand Alphonse Allais.
Se retournant vers ses clients : » Avec des amateurs comme ce type là, vendre des fromages au Marché, est un bonheur sans égal ! »
Ahh ! qu’on est loin du Cheddar américain gonflé aux hormones artificielles…