Titre original : ’71
Note:
Origine : Angleterre
Réalisateur : Yann Demange
Distribution : Jack O’Connell, Paul Anderson, Richard Dormer, Sean Harris, Martin McCann, Charlie Murphy, Barry Keoghan, Sam Reid…
Genre : Drame
Date de sortie : 5 novembre 2014
Le Pitch :
En 1971, au Royaume-Uni, Gary Hook, un jeune soldat britannique tout juste enrôlé, est envoyé avec son peloton à Belfast, en pleine guerre civile. Lors de sa première mission, son unité est prise en embuscade et Gary se retrouve rapidement isolé, en territoire ennemi. Activement recherché par des membres de l’IRA, le soldat ne sait pas à qui se fier. Sa seule chance : parvenir à regagner son camp de base…
La Critique :
Réalisateur français expatrié à Londres, Yann Demange signe ici son premier long-métrage, après avoir officié sur des séries hautement recommandables comme Dead Set ou Journal Intime d’une Call-Girl. Le cadre, à savoir le conflit en Irlande du Nord au début des années 70, accueille ainsi ce qui s’avère être un pur survival. Lui-même précise d’ailleurs que si le scénario exploite les enjeux de la guerre civile irlandaise, son film aurait tout aussi bien pu se dérouler dans un autre pays soumis à ce genre de tragédies violentes. C’est d’ailleurs certainement pour cela que ’71, qui tire donc son nom de l’année durant laquelle l’action prend pied, ne s’étend pas sur le pourquoi du comment des troubles qui déchirent le pays. Si on connaît un peu cet épisode d’histoire moderne tant mieux, et si ce n’est pas le cas, au fond, ce n’est pas plus mal, tant le long-métrage tire une grande partie de sa force de l’universalité coup de poing de son discours. Nous ne sommes pas chez Jim Sheridan, qui avec des films comme The Boxer et surtout Au Nom du Père, a puissamment embrassé cette période de l’histoire de l’Irlande, via des drames âpres, très ancrés dans leur contexte et pour le moins socialement concernés sans pour autant livrer une morale unilatérale. Après tout, on parle de deux chefs-d’œuvres. ’71 lui, n’évolue pas dans la même catégorie et tient davantage de la parabole.
Le cadre sert principalement à deux choses : emballer une réflexion linéaire et directe sur les conséquences de la guerre, notamment sur les plus jeunes, en soulignant au passage le triste pouvoir de la corruption, et livrer un film d’action nerveux. En gros, Demange tente le mélange des genres. Un peu à la façon du premier Rambo, qui, si il reste un grand film d’action, demeure également un vibrant plaidoyer en faveur de tous les soldats revenus du Viêt-Nam. Ici, sous le vernis d’une tragédie contemporaine, encore très actuelle, se dessine très rapidement une volonté d’envoyer du lourd. C’est d’ailleurs de cette façon que le cinéaste fait son entrée. Il fonce dans le tas. Toute la première partie de ’71 impressionne. De l’entrainement des bidasses à leur arrivée sur le terrain, où, bombardés de merde et de pisse, ils doivent mener une mission à bien sans vraiment comprendre de quoi il retourne, l’action reste soutenue. La caméra est placée dans l’œil du cyclone, au centre des échauffourées, collée aux basques des soldats paumés et effrayés, et quand ça dérape, rien ne nous est épargné, nous scotchant littéralement à notre fauteuil. Sans éviter une certaine confusion, notamment à cause d’une propension à bouger dans tous les sens dans un style proche du documentaire, Yann Demange s’en sort quand même avec les honneurs quand il s’agit de suivre le personnage central de son métrage, à savoir Gary Hook, le soldat interprété par Jack O’Connell.
Celui là même qui se retrouve seul en milieu hostile, avec sur la tronche, une inscription invisible qui semble clamer haut et fort qu’il est l’homme à abattre. C’est au cours d’une incroyable poursuite à pied, dont l’intensité et la virtuosité ne sont pas sans rappeler celle de Point Break (le mètre-étalon du genre), que le réalisateur de ’71 nous montre de quoi il est vraiment capable. Sans jamais se poser, ou presque, durant le premier tiers de son film, il offre au spectateur un spectacle plein de hargne, de sang et de larmes. Ensuite, comme pris de cours par la nécessité de suivre un scénario tenant parfois carrément du thriller, Demange peine un peu à maintenir le niveau.
Cela dit, la tension ne redescend jamais vraiment bas et régulièrement, à coup de scènes brutales, le film ravive l’intérêt. C’est peut-être cette rythmique en dents de scie qui rappelle que ’71 est un premier film. Une œuvre puissante et vraiment réaliste, mais parfois maladroite, qui aurait gagné à suivre tout du long la voie du survival, plutôt que de se fier à une intrigue à tiroirs à base de flics pourris et de manigances certes révélatrices du caractère malsain du conflit, mais moins intéressantes, car à peine effleurées et vite expédiées.
Avec son personnage catapulté en zone de guerre, dont la condition n’est pas sans rappeler un certain Snake Plissken (Demange reconnaît l’influence du New York 1997, de John Carpenter), ce mélange de genres un peu bancal mais totalement assumé et majoritairement maîtrisé, gagne une vraie légitimité et du même coup une certaine originalité. Possédant cet aspect rude, âpre et brut de décoffrage, propre aux productions britanniques sans fioritures, il bénéficie en outre de l’interprétation et du charisme sans faille du décidément excellent Jack O’Connell. Un acteur déjà spectaculaire dans le monumental Les Poings contre les murs, transfuge de la série Skins et bombe à retardement capable de tout jouer. En soldat vulnérable, O’Connell rajoute une nouvelle corde à son arc. Tout chez ce type est à sa place. Le moindre regard a son importance, la moindre intonation aussi. Si ’71 est aussi marquant, c’est en grande partie grâce à lui. Grand, O’Connell l’est ici une nouvelle fois. Sans se démonter, il livre une performance touchante, nourrie d’une émotion à fleur de peau. Sans filtre, sans avoir l’air de calculer quoi que ce soit, O’Connell rappelle les jeunes De Niro et Pacino. Comme on disait jadis, il crève l’écran et rien que pour lui, quoi qu’il en soit, ’71 est un film à voir.
@ Gilles Rolland
Crédits photos : Ad Vitam